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Leur société
Ehpad : “or gris” et colère noire
Le 30 janvier, le personnel des Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) de tout le pays était appelé par sept syndicats à se mobiliser. Des grèves, des rassemblements, des manifestations ont eu lieu pour dénoncer ce que chacun sait, qu’il y travaille, qu’il y vive ou que ses proches y soient hébergés : le manque d’effectifs y est souvent catastrophique.
Les Ehpad, ce sont près de 7 900 établissements dans le pays, hébergeant environ 750 000 résidents d’un grand âge, de plus en plus âgés et de plus en plus dépendants. La moitié dépassent 87 ans et 5 mois, selon une statistique de 2015, et 83 % ont perdu leur autonomie, selon la même statistique. Environ 500 000 salariés y travaillent, fréquemment dans des conditions difficiles, voire insupportables, physiquement et moralement.
Le problème n’est pas nouveau. En 2006 déjà, le plan Solidarité grand âge du Premier ministre de Chirac, de Villepin, prévoyait dans ces établissements une dotation de 500 millions d’euros pour les rénovations immédiates, 5 000 créations de postes par an jusqu’en 2012 et un taux de soignants par résident qui devrait dépasser un pour un. Douze ans plus tard, l’occupation des lits explose, mais pas la proportion de soignants, qui stagne toujours à 0,65 ou 0,7 pour un patient dans les établissements publics et, pire, tombe à 0,35 ou 0,4 dans les établissements privés à but lucratif, un tiers du total.
Ce sont ceux-là, appartenant aux groupes financiers Korian et Orpéa, leaders du secteur, qui génèrent pour les patrons et les actionnaires des bénéfices en or, au point que l’économie de la dépendance chez les personnes âgées a été baptisée avec élégance l’or gris. Les investissements en actions Korian ou Orpéa sont plébiscités sur les sites spécialisés, et Korian se félicite d’avoir, pour l’année 2016, doublé ses profits et acquis en Allemagne les établissements du groupe Casa Reha.
Il n’y a pas là de sorcellerie : la réalité quotidienne qui produit l’or gris est, pour le personnel, l’augmentation des lombalgies et des troubles musculo-squelettiques, dans une proportion supérieure à celle des salariés du BTP. Mais ce sont aussi les burn-out, les dépressions, ou tout simplement le sentiment insupportable d’en arriver à maltraiter les personnes âgées qu’on est censé accompagner, aider, soigner. On peut entendre les travailleuses des Ehpad raconter les levers-toilettes-habillages-petits-déjeuners bâclés de force en 13 ou 15 minutes, les douches oubliées, les plats mixés pour être avalés rapidement… Peu ou pas de médecins, en particulier dans les établissements privés, de rares infirmières, un personnel issu des hôpitaux qui assure tant bien que mal le gros de la prise en charge médicalisée : voilà la situation que dénonce le personnel en colère des Ehpad.
Tout le monde les soutient… en paroles, pour la plupart, depuis la commission spéciale présidée par une députée LREM jusqu’au journal Le Figaro. Mais pour les syndicats, le coup de pouce concédé le 25 janvier par la ministre de la Santé, 50 millions d’euros, permettra au mieux de créer 2 500 postes, alors qu’il en faudrait 200 000. Les employés des Ehpad réclament un agent par résident, l’arrêt de la baisse des dotations qui conduit à une baisse d’effectifs, l’abrogation de la réforme de la tarification qui entraîne une perte de dotations, des salaires décents. C’est bien le moins que la société leur doit et doit aux anciens, aux vieux travailleurs qui leur vie durant ont fait fonctionner le système qui les méprise à présent.