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Lafarge en Syrie : des fissures dans la défense des rois du béton
Dans l’affaire du financement de groupes terroristes islamistes en Syrie, plus l’enquête judiciaire avance, plus les faits sont accablants pour la direction du trust cimentier français Lafarge.
Et cela, même si la multinationale, qui a fusionné en 2015 avec le groupe suisse Holcim, fait tout pour étouffer l’affaire. Une ONG accuse ainsi LafargeHolcim d’avoir « passé les ordinateurs à l’eau de Javel ». Les juges d’instruction dévoilent le fait que « des éléments essentiels ne se trouvaient plus au siège lorsque la perquisition a été effectuée » et que « l’intégralité de la comptabilité […] n’a pas été davantage transmise ».
Le trust est accusé d’avoir financé entre 2011 et 2014 différents groupes terroristes, dont Daech, pour continuer à faire fonctionner sa cimenterie en Syrie et d’avoir mis en danger la vie des travailleurs de l’usine. Les deux anciens PDG de Lafarge mis en examen ont bien sûr déclaré devant la justice qu’ils n’étaient pas au courant et ont essayé de faire porter le chapeau aux seuls dirigeants de la filiale syrienne. Mais cela est complètement réfuté par des mails et des comptes-rendus de réunion qui démontrent la responsabilité des plus hautes instances de Lafarge.
Tant mieux si pour une fois des PDG d’un groupe du CAC 40 finissent par être condamnés, et pas seulement leurs cadres subalternes. Mais à ce jour les gros actionnaires de Lafarge n’ont pas été inquiétés, alors qu’ils détiennent pourtant la réalité du pouvoir de décision et qu’ils récupèrent l’essentiel des profits.
Les profits, c’est bien évidemment le problème de fond dans cette affaire. Les sommes en jeu sont d’ailleurs plus colossales que les chiffres avancés en 2016 par les premiers articles de presse, qui parlaient d’un financement à hauteur de 500 000 euros. Cela représenterait en fait plus de 15 millions de dollars : un tiers de la somme aurait été versé aux groupes terroristes pour assurer la sécurité de l’usine, un autre aurait servi à l’achat de matières premières, dont du pétrole, sur des territoires contrôlés par Daech, et un dernier tiers à payer des intermédiaires.
Cela donne aussi une petite idée des profits gigantesques que faisait Lafarge avec cette usine. L’un de ses ex-directeurs l’a d’ailleurs dit avec cynisme : « Le racket de Daech, c’était l’équivalent de 500 tonnes [de ciment]… Sachant qu’on avait trois silos de 20 000 tonnes [...] est-ce qu’on allait tout plier pour 500 tonnes ? »
Lafarge a pu compter sur de nombreux appuis au sein de l’État français. Un des ex-dirigeants de la filiale syrienne a déclaré qu’il avait le soutien de l’ambassadeur de France, qui de son côté a bien sûr réfuté ces déclarations. D’après le site d’information Mediapart, le ministère des Finances a certes porté plainte en 2016 contre Lafarge, mais juste après que la presse a dévoilé l’affaire et alors qu’il était au courant bien avant des agissements du cimentier. Quant à l’Assemblée nationale, une mission d’information composée de députés de droite et de gauche a même carrément blanchi le groupe en juillet 2016...
L’affaire Lafarge lève un coin du voile sur des pratiques habituelles des trusts capitalistes à travers le monde, qu’aucun scrupule n’arrête quand il s’agit de bétonner leurs profits.