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Afrique du Sud : l’ANC change de dirigeant, pas de politique
La conférence de l’ANC a désigné le 17 décembre Cyril Ramaphosa comme son dirigeant pour les cinq prochaines années. Il est désormais presque certain qu’il sera le candidat de l’ANC à l’élection présidentielle de 2019. Or, depuis la fin du régime de ségrégation raciale de l’apartheid, en 1994, c’est l’ANC, le parti de Mandela, qui a remporté toutes les élections. Ramaphosa a ainsi bon espoir de remplacer bientôt Jacob Zuma à la présidence.
Sous l’apartheid, l’avocat Ramaphosa, après avoir été le dirigeant du syndicat des mineurs, devint le premier secrétaire général de la centrale syndicale Cosatu, qui mena la grève générale des mineurs en1987. Quand le régime fut sur le point de changer et que la bourgeoisie blanche, gardant tous ses privilèges économiques, se résigna à laisser l’ANC assumer le pouvoir politique, Ramaphosa en devint le secrétaire général.
En 1997, après avoir été battu lors de la bataille interne à l’ANC pour la succession de Mandela, il se lança dans les affaires et, grâce à ses appuis politiques, il s’enrichit au point de posséder aujourd’hui la deuxième fortune d’Afrique du Sud.
L’ANC, même s’il s’est appuyé sur la mobilisation de la classe ouvrière noire pour arriver au pouvoir, puis s’y est maintenu grâce aux votes populaires à toutes les élections depuis vingt-trois ans, a servi de couveuse pour favoriser l’émergence d’une moyenne et même d’une grande bourgeoisie noire aux côtés de la bourgeoisie blanche. C’est ainsi que les sacrifices que leurs luttes déterminées ont valus aux mineurs sous l’apartheid ont abouti à ce qu’un dirigeant syndical comme Ramaphosa devienne un actionnaire important de la grosse compagnie minière Lonmin, et l’un des principaux responsables du massacre des 34 mineurs de Marikana en 2012, ayant utilisé son influence à la tête de l’État pour que la police réprime sauvagement les grévistes.
À défaut de pouvoir et surtout de vouloir permettre aux classes populaires noires d’échapper à la misère et à l’exploitation, l’ANC a fait émerger des « diamants noirs », c’est-à-dire un patronat noir. C’est au fond la politique des nationalistes, à laquelle le Parti communiste et le syndicat Cosatu, dont la fonction est de tromper la classe ouvrière, participent.
Au pouvoir depuis 1994, l’ANC s’est usé. La classe ouvrière subit un chômage massif, officiellement de 30 %. Les inégalités sociales en Afrique du Sud ne sont pas moindres que sous l’apartheid, plus de la moitié de la population vivant sous le seuil de pauvreté.
Les scandales de corruption se succèdent, l’actuel président Zuma étant personnellement éclaboussé par son favoritisme intéressé en faveur d’une famille de patrons, les Gupta. Zuma espérait d’ailleurs que son ex-femme, Nkosazana Dlamini-Zuma, plusieurs fois ministre, serait choisie pour lui succéder et, au passage, lui assurer l’impunité quand il aurait quitté le pouvoir. Mais le président semble trop affaibli pour imposer son choix à l’ANC.
L’ascension de Ramaphosa est une tentative de la part de l’ANC de faire peau neuve sans effrayer le moins du monde la classe patronale. Au contraire, celle-ci attend beaucoup de celui qui parle d’attirer les investissements étrangers en baissant le « coût » du travail, c’est-à-dire les salaires, et en allégeant le droit du travail.
L’envolée du rand, la monnaie sud-africaine, le lendemain du congrès de l’ANC reflète la satisfaction de la bourgeoise sud-africaine devant le succès de l’un des siens, Ramaphosa. Le slogan du congrès appelant au « renouvellement et à l’approfondissement des transformations socio-économiques » ne trompe pas les classes privilégiées.
Quant aux classes populaires, il n’est pas dit que l’ANC pourra encore longtemps les berner avec de tels slogans.