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Égypte : Sissi, un bon client pour Paris
L’ex-maréchal Sissi, élu président en Égypte en 2014 avec 96 % des suffrages exprimés, vient d’être reçu par son homologue à Paris. Déjeuner avec Macron, dîner avec Le Drian, rencontre avec le président du Sénat et celui de l’Assemblée nationale, réception au Medef, les petits plats ont été mis dans les grands pour accueillir le chef de l’État égyptien.
Il faut dire que Sissi et l’armée égyptienne sont de bons clients. Dassault Aviation avait signé il y a deux ans et demi un contrat de vente de 24 Rafale à l’Égypte, dans le cadre d’un contrat de 5,2 milliards d’euros comprenant aussi une frégate Fremm et des missiles. Le contrat comprenait une option pour douze avions de combat supplémentaires. « S’il peut y avoir de nouveaux contrats, tant mieux », avait salivé le ministre de l’Économie Le Maire à ce propos sur les ondes. En effet, après les navires de guerre, le satellite militaire, les deux hélicoptères Mistral, le pouvoir égyptien peut encore s’équiper, le seul problème semblant être les facilités de paiement que Sissi demanderait.
Mais, autre volet commercial, plus de 160 entreprises françaises font du profit en Égypte, pays de 95 millions d’habitants dont la majorité n’a pourtant qu’un faible pouvoir d’achat, et même pas de pouvoir d’achat du tout. Cependant l’armée, véritable force économique, et l’État en ont. Les capitalistes français sont donc à la sixième place parmi les investisseurs dans ce pays qui compte aujourd’hui 30 millions d’ouvriers, d’employés et de petits paysans. Lors de la visite de Sissi, des contrats ont été conclus avec EDF, Suez, Eren Groupe, Voltalia…
Que deviennent les droits de l’homme dans tout cela ? « Ils sont régulièrement en discussion avec les Égyptiens, comme partie de nos relations de confiance », déclarait il y a peu l’ex-ministre PS de la Défense de Hollande, actuellement aux Affaires extérieures, Jean-Yves Le Drian. Ces bavardages diplomatiques n’ont guère d’effet sur la répression de plus en plus générale qui frappe les militants ouvriers, les opposants politiques, les syndicalistes indépendants de la fédération officielle, les travailleurs en grève ou même qui se rassemblent simplement pour demander le paiement d’une prime qui leur est due ou d’un retard de salaire.
Après que Sissi est arrivé au pouvoir fin juin 2013, bien accueilli par des millions d’Égyptiens espérant qu’il les sauverait du régime de Morsi, le président des Frères musulmans, un régime de fer s’est rapidement installé. À force de lois interdisant les manifestations, de pouvoirs accrus à la police et à la Sécurité nationale, de procédures lancées contre les associations suspectées d’avoir recours au « financement étranger » et leurs militants, des dizaines de milliers de personnes ont été victimes d’arrestation, d’emprisonnement, voire de « disparition forcée », de torture et pire. Ce fut le cas, par exemple du doctorant italien Giulio Regeni, retrouvé mort après tortures en février 2016. « Traité comme un Egyptien », commentèrent alors amèrement des opposants au régime de Sissi.
L’inflation supérieure à 30 % l’an qui sévit dans le pays et rend le café, le thé, le cacao et les produits laitiers inabordables pour les classes pauvres, entraînant une baisse de leur consommation, n’est pas pour rendre le régime populaire, à quelques mois des prochaines élections présidentielles. La TVA, instaurée il y a un an sur injonction du FMI et de la Banque mondiale, et renchérissant les produits, vient aussi de passer de 13 à 14 %. Le carburant vient d’augmenter pour la deuxième fois dans l’année, de 50 % au total. L’électricité a augmenté de 40 % en juillet. Des millions de personnes doivent survivre avec moins de deux euros par jour. Des millions d’autres doivent faire vivre leur famille avec des contrats précaires. 80 % des jeunes de 15 à 29 ans sont sans emploi réel. Des mouvements de protestation surviennent, des grèves comme en août dernier dans le textile, malgré les menaces d’être arrêté comme terroriste, malgré la répression qui frappe les militants ouvriers.
La misère et les tentatives d’étouffement de la contestation de la population égyptienne n’entrent évidemment pas en ligne de compte dans les calculs des grandes puissances. Le régime d’al-Sissi est non seulement un bon client, il est aussi grâce à sa dictature un facteur de stabilité dans la région, capable de briser toute velléité de son peuple de se lancer dans quelque nouveau « printemps arabe ».