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Comité amiante – Martigues : contre un jugement inique
Alors que des milliers de victimes de l’amiante sont en sursis, le Parquet de Paris a déjà conclu à ce propos qu’« il est impossible de dater le moment de la commission de la faute et donc de l’imputer à quiconque ». En clair, l’incertitude sur la date d’intoxication ne permettrait plus de mettre en cause les responsables, par exemple les patrons d’Eternit et autres utilisateurs de l’amiante ainsi que les pouvoirs publics qui laissaient faire.
Visiblement, la justice se prépare ainsi à prononcer des non-lieux, dans des jugements devant être rendus en septembre prochain. En réponse à cette attitude, les associations réunies autour du Caper (Comité amiante – Prévenir et réparer) de Caronte (Port-de-Bouc-Martigues) se sont réunies le 4 juillet pour continuer le combat et coordonner la riposte.
Jusqu’en 1965, la mine de Canari située en Haute-Corse a été exploitée par la société Eternit. Et si 300 000 tonnes d’amiante ont été extraites, l’environnement a été dévasté : tous les déchets amiantés de la production étaient directement déversés dans la mer, en bas de la carrière.
À la fermeture, Eternit a réussi à vendre à la collectivité l’usine et son site pour la somme symbolique de un franc... Elle laissait à ses bons soins la responsabilité de désamianter l’usine et les carrières, un travail de titan.
Ces 300 000 tonnes d’amiante, une fois extraites, étaient envoyées à Bastia dans de simples sacs de jute. Tout était ensuite chargé sur les bateaux en direction de Marseille, pour rejoindre, entre autres, l’usine Eternit de Caronte à Port-de-Bouc-Martigues. Ouvriers de la mine d’amiante, dockers des ports, marins et passagers, tous ont eu le malheur de se trouver dans cet environnement mortel.
Toute la manutention était faite par les dockers de Bastia, de Marseille et d’Alger pour l’usine Eternit de Kouba, qui chargeaient et déchargeaient ces sacs de jute à l’aide de leur crochet (le gauncho), et cela pendant des années.
Aucun contrôle n’était effectué. Par exemple, à la visite annuelle, quand le médecin du port de Marseille demanda à un docker chargé du transport de l’amiante de fumer moins, et que ce dernier répondit qu’il ne fumait pas, ce « bon » médecin trouva toujours une raison autre que l’amiante. Ce n’est qu’à la visite de départ en retraite qu’il demanda à ce docker de consulter un spécialiste… C’était trop tard et celui-ci, avec un cancer généralisé, ne « profita » que quelques mois de sa retraite, dans des souffrances atroces.
Une fois l’amiante traité et retiré des carrières, il était acheminé dans les différentes usines, comme celle de Caronte qui fabriquait des plaques et des tuyaux de six mètres et de quatre mètres, et qui ferma en 1979. Elle comptait dans ses bonnes années 600 salariés.
À l’arrivée de l’amiante, les sacs de jute étaient ouverts au couteau et déchargés dans le broyeur. Comme il ne fallait pas perdre un gramme, les sacs étaient secoués à fond. Les ouvriers chargés de cette tâche vivaient donc dans un perpétuel brouillard de poussière d’amiante. Mais les plus exposés étaient les ouvriers d’entretien qui démontaient et nettoyaient les machines dans la nuit du samedi au dimanche. Ils y allaient au marteau et se glissaient à l’intérieur des vis sans fin et autres dispositifs de l’usine.
Quant aux bleus de travail, c’était les épouses, les mères et les sœurs qui les secouaient avant de les laver. « J’ai travaillé 22 ans chez Eternit Caronte », a témoigné un ouvrier, « Zoé, mon épouse, lavait mes bleus. 29 ans après la fermeture, elle a eu un mésothéliome. » Elle décéda en novembre 2011, deux mois avant que la Cour d’Aix-en-Provence ne déclare Eternit coupable de l’avoir exposée à l’amiante...
À Port-de-Bouc, dernièrement, une stèle a été inaugurée aux victimes de l’amiante avec cette épitaphe désignant les responsables : « Ils savaient et ils n’ont rien fait ».