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Leur société
Le massacre de mai 1967
Les 26, 27 et 28 mai 1967 à Pointe-à-Pitre et aux Abymes, en Guadeloupe, les gardes mobiles ouvraient le feu sur la population, faisant plusieurs dizaines de morts.
Le 24 mai, les travailleurs du bâtiment s’étaient mis en grève. Ils réclamaient une augmentation de salaire de 2 %. Le 26 mai, massés devant la chambre de commerce de Pointe-à-Pitre et cernés par les forces de répression, ils attendaient le résultat de négociations menées entre leurs représentants syndicaux et ceux du patronat. C’est alors que les grévistes et ceux qui étaient venus les soutenir apprirent la rupture des négociations. Un des représentants patronaux, Georges Brizzard, aurait dit : « Quand les nègres auront faim, ils reprendront le travail. »
Des affrontements s’ensuivirent entre la foule révoltée et les CRS et képis rouges, autrement dit les gendarmes mobiles. Les manifestants lançaient des pierres, des bouteilles, des conques de lambis, qui sont des coquillages hérissés de pointes pouvant peser plus de deux kilos. Les képis rouges ripostèrent par des tirs à vue, sur ordre du préfet. Un militant du GONG (Groupe d’organisation nationale de la Guadeloupe, organisation revendiquant l’autonomie), Jacques Nestor, pourchassé et assassiné d’un tir dans le dos, fut l’un des premiers morts de cette tuerie. Les témoins affirment que, durant trois jours et nuits, on entendit des coups de feu en continu. Lors de la veillée mortuaire de Camille Taret, l’un des jeunes tués, les forces de répression ouvrirent le feu et firent une nouvelle victime.
Courageusement, le 27 mai, un millier de lycéens descendirent manifester en ville, bravant les forces de la répression. Celles-ci les mirent en joue mais n’osèrent pas tirer sur ces jeunes. En revanche ils furent sauvagement matraqués.
Le bilan officiel du massacre fut de huit morts. Mais personne dans la population ne crut à ce chiffre. En 1985, le secrétaire d’État aux DOM-TOM, Georges Lemoine, laissa échapper le chiffre de 87 victimes. Il y eut aussi des centaines de blessés. Les documents concernant ce massacre ont été classés secret défense jusqu’à 2017, mais les registres des hôpitaux et des mairies concernant la période ont opportunément disparu. On sait donc bien peu de chose sur les blessés qui moururent à l’hôpital, sur les cadavres que les familles cachèrent par peur de la répression. Mais les témoins racontent avoir vu des morts dans les rues et tenté de secourir nombre de blessés.
À la fin des années 1960, la population guadeloupéenne subissait une misère profonde. Elle était victime de maladies atroces liées au manque d’hygiène, à la malnutrition. Des quartiers entiers de cases en bois insalubres environnaient la ville de Pointe-à-Pitre. Les salaires extrêmement bas entraînaient régulièrement des grèves, particulièrement parmi les travailleurs agricoles. Certaines avaient déjà débouché sur des répressions sanglantes, six tués à Petit-Canal en 1925, quatre à Moule en 1952. Le racisme officiel exaspérait la population, l’encadrement administratif et le patronat blanc exprimaient un mépris et une arrogance insoutenables face à des travailleurs noirs.
En mars de la même année 1967, dans la ville de Basse-Terre, le propriétaire blanc d’un magasin de chaussures, Vladimir Srnky, avait envoyé son chien de garde contre un cordonnier noir handicapé qui officiait devant sa vitrine. Une foule s’était rassemblée et Srnky avait dû fuir, échappant de peu au lynchage. Cette émeute de Basse-Terre, révélatrice de l’état d’esprit qui régnait, apparaît comme les prémices de la révolte de mai 1967.
Après le massacre, il y eut 70 arrestations, dont dix condamnations à de la prison ferme. Dix-neuf membres présumés du GONG, qui était l’une des premières organisations nationalistes indépendantistes, furent envoyés en France pour être jugés pour atteinte à l’intégrité du territoire français par la Cour de sûreté de l’État. Treize furent acquittés, six eurent des peines de prison avec sursis. Le pouvoir colonial chercha à tirer parti de la tragédie pour décapiter le GONG, sans y parvenir cependant.
Il aura fallu des dizaines de morts pour que les ouvriers du bâtiment, qui réclamaient 2 % d’augmentation, obtiennent finalement 25 %.
Ce cinquantenaire du massacre de « mé 67 » (en créole) a été commémoré en grand, partout en Guadeloupe, par une série de manifestations. Longtemps masquée voire ignorée, l’histoire de la répression et de cette période a pu être racontée à tous par les témoins, les blessés et les emprisonnés de l’époque. En particulier la jeunesse a pu savoir ce qui s’était réellement passé.
Un film de témoignages de victimes et d’emprisonnés sera projeté à la fête de Lutte ouvrière à Presles, le samedi 4 juin à 15 heures au chapiteau Friedrich Engels. Un débat suivra.