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- Lutte ouvrière n°2539
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il y a 70 ans
Mars 1947 : la répression sanglante de l’insurrection malgache
Dans la nuit du 29 au 30 mars 1947, une insurrection contre la présence française éclatait à Madagascar. Plusieurs camps militaires étaient attaqués, dont celui de Moramanga, où il y eut 22 morts. Une guerre coloniale commençait, qui devait durer jusqu’en octobre 1948. Il fallut vingt mois pour vaincre l’insurrection malgache ; la répression et ses suites firent des centaines de milliers de morts.
Pendant près de cinquante ans, l’État français ne reconnut même pas cette guerre coloniale. Ce n’est qu’en 2005 que Chirac, en visite à Madagascar, admit « les périodes sombres », « le travail forcé », et « une dérive coloniale ». Une description encore bien loin de la réalité.
La conquête et l’exploitation coloniale
La République française avait eu bien du mal à vaincre la résistance des Malgaches pour aboutir à faire de l’île un protectorat en 1896. Le général Gallieni avait été chargé de réduire la rébellion. Une exploitation sauvage se mit alors en place. L’esclavage était interdit, mais le travail forcé le remplaça. En 1904, le Code de l’indigénat était édicté. Il imposait des réquisitions, des impôts, interdisait de circuler la nuit, etc. En 1909, une infime minorité de Malgaches accédait à la citoyenneté.
Lors de la Première Guerre mondiale, 21 000 Malgaches furent envoyés sous les drapeaux, tandis que de fortes contributions en impôts et en produits agricoles étaient versées à l’État français.
En 1919, devant le développement des mouvements nationalistes et les tensions de plus en plus fortes, le gouvernement français prit quelques mesures dérisoires, comme l’autorisation d’entrer au lycée ou l’exemption des charges de l’indigénat pour les femmes. Mais le travail forcé et les corvées continuaient. En 1926, l’administration coloniale mit en place le Smotig (Service de main-d’œuvre pour les travaux d’intérêt général), un service militaire obligatoire de trois ans. Les hommes qui y participaient furent désignés par la population comme les « soldats de la boue ».
La révolte continuait à couver au sein de la population. En mai 1929, une grande manifestation eut lieu pour la naturalisation, la liberté. En 1936, la seule concession du gouvernement français de Front populaire fut de supprimer le travail forcé pour les travaux publics et d’abroger le délit de presse.
De la Deuxième Guerre mondiale à l’insurrection
Le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale entraîna une nouvelle dégradation importante de la situation à Madagascar. En juin 1940, non seulement 34 000 soldats malgaches furent envoyés au front, suivis de 70 000 autres, mais les contraintes imposées par le Code de l’indigénat furent renforcées : les récoltes furent réquisitionnées, des jours de travail gratuit imposés, la population sommée de fournir du caoutchouc.
Suite à un accord avec les forces anglaises, Madagascar passa en 1942 aux mains de la France libre de de Gaulle. L’île connut des heures terribles et, pendant l’hiver 1943-44, une partie de la population fut touchée par la famine, en conséquence des réquisitions, taxes et impôts, et du travail forcé.
À la fin de la guerre, l’État français, affaibli, chercha à maintenir coûte que coûte son empire colonial, rebaptisé Union française, bien que de Gaulle eût laissé espérer la possibilité de l’autodétermination à ceux qui rejoindraient son camp. En Asie, l’État français, qui avait été chassé et remplacé par l’impérialisme japonais, tenta de reprendre pied. En Indochine, la population s’insurgea et la guerre commença. À Sétif, en Algérie, en 1945, une manifestation indépendantiste fut écrasée dans le sang.
À Madagascar, le MDRM (Mouvement démocratique pour la rénovation malgache), regroupant les milieux intellectuels et aisés des Malgaches, réclamait l’indépendance au sein de l’Union française. Malgré les pressions de l’administration française pour favoriser les partis malgaches qui lui étaient inféodés, comme le PADESM (Parti des déshérités malgaches), le MDRM remporta les élections de députés de 1946. Les autorités françaises refusèrent d’accepter ce résultat. Une date d’insurrection circula, indépendamment du MDRM qui y était opposé
Le 29 mars 1947, les insurgés attaquèrent des postes de police, des garnisons et appelèrent la population à les rejoindre. Jusqu’en juillet 1947, la rébellion s’étendit et les autorités françaises perdirent le contrôle de deux zones, l’une au nord et l’autre au sud, qui passèrent aux mains de l’insurrection.
Une répression féroce
L’état de siège fut proclamé. La population européenne forma des milices armées, même si, dans les régions soumises aux insurgés, elle paya pour s’assurer leur clémence. La rébellion, dirigée par des hommes appartenant à des fractions secrètes, le PA.NA.MA ( Parti nationaliste malgache) et les JNA (Jeunesses nationalistes malgaches), était mal armée, mais elle était portée par la détermination de la population.
La répression s’abattit. Il y eut des arrestations massives, des exécutions sommaires, des villages incendiés. Les troupes françaises allèrent jusqu’à larguer des prisonniers vivants, depuis des hélicoptères, au-dessus des villages rebelles. Les députés du MDRM furent arrêtés et torturés.
Pour mater la révolte, le gouvernement français dut envoyer 18 000 hommes. La guerre avait commencé alors que le Parti socialiste SFIO et le PCF participaient au gouvernement. Mais la répression sauvage contre les Malgaches, pas plus que celle de la manifestation de Sétif en Algérie en 1945 ou les débuts de la guerre d’Indochine, en 1946, n’amena les ministres communistes à rompre la solidarité gouvernementale. Fidèles aux intérêts de l’impérialisme français, ils gardèrent cette position après leur départ du gouvernement, en avril 1947. Les députés du PCF se contentèrent de protester contre l’arrestation des députés malgaches.
Il fallut attendre 1958 pour que Madagascar acquière une certaine autonomie. Elle devint République malgache au sein de la communauté française, avant d’être indépendante le 20 juin 1960, dans des conditions de pauvreté qui témoignent, encore aujourd’hui, des séquelles du colonialisme français.