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Leur société
Projet de loi Sapin 2 : jeu de rôle entre patronat et gouvernement
L’examen du projet de loi relatif « à la transparence économique, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique », aussi dénommé Sapin 2, a commencé le 6 juin au Parlement.
Avec ce texte, le gouvernement se targue notamment de lutter contre la fraude fiscale des grandes entreprises. Mais plus d’un millier d’amendements ont été déposés par les députés, dont un certain nombre visent, sous la pression du patronat, à limiter la portée de cette loi. Il est donc bien possible qu’au final elle n’impose rien aux grands groupes.
En l’état actuel, la discussion parlementaire va porter sur une mesure qui obligerait les entreprises multinationales réalisant plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel à rendre publics leurs bénéfices, leurs effectifs, le montant des impôts dus et acquittés, et cela pays par pays. Le patronat ne veut pas en entendre parler : le Medef dénonce cette disposition comme une « affaire grave » et l’Association française des entreprises privées (Afep) parle de « suicide économique ».
En effet, la bourgeoisie ne supporte pas que sa gestion de l’économie soit rendue publique, même partiellement. Elle a besoin du secret des affaires, du secret commercial et bancaire. C’est grâce à lui que les plus grosses entreprises peuvent dominer les plus petites ; et, encore plus, qu’elles peuvent cacher aux travailleurs l’ampleur de l’exploitation. Elles ne veulent surtout pas, par exemple, que l’on voie clairement combien les suppressions d’emplois servent à augmenter les bénéfices.
À peine parle-t-on de lever un coin du voile – même si c’est de la part d’un État au service du patronat voulant juste faire rentrer des impôts qu’il transformera ensuite en aide aux entreprises – que les grands patrons pratiquent leur chantage habituel à la compétitivité.
Sur la défensive, le gouvernement a beau expliquer aux patrons que sa volonté de transparence vise à déboucher sur de nouvelles règles en Europe, mettant les entreprises à égalité et rendant sa propre loi obsolète, l’Afep rétorque que « la compétition est mondiale ». Et en effet les plus grandes entreprises trouvent toujours où établir leur siège mondial et par où faire transiter leurs profits pour payer le moins d’impôts possible. C’est la fonction des paradis fiscaux.
En fait l’ambition de Michel Sapin, le ministre des Finances, ne vise pas à contraindre les entreprises mais selon lui-même au contraire à « développer la liberté du commerce et de l’industrie en encourageant le financement de l’économie réelle ». Sapin parle de lutter « contre la finance qui corrompt », mais jusqu’à présent il n’en a rien fait. En France une seule entreprise a été condamnée pour corruption d’agent public : c’est Total, qui n’a eu à payer qu’une amende de 750 000 euros, dérisoire par rapport à ses profits qui se comptent chaque année en milliards.
Le projet de loi devrait aussi aborder la question des rémunérations très élevées des PDG des grands groupes, qui font régulièrement scandale. Pour avoir l’air d’y faire quelque chose, le gouvernement a menacé le patronat de légiférer. Mais il a limité son ambition à donner plus de pouvoir en la matière non aux salariés qui produisent la richesse, mais aux actionnaires…
On verra, dans les semaines qui viennent, ce que deviendra cette loi. D’ici là le patronat va peser de tout son poids pour en limiter les effets. Tout au plus le gouvernement voudrait s’en servir pour revivifier les illusions de l’électorat de gauche qui l’abandonne. C’est une recette dont Hollande avait usé dans sa campagne de 2012 avec ses attaques contre la finance. L’expérience d’un quinquennat au service du patronat rend à présent l’exercice moins aisé.