- Accueil
- Lutte ouvrière n°2496
- Avril-mai 1956 : la révolte des rappelés
Il y a 60 ans
Avril-mai 1956 : la révolte des rappelés
Le 2 janvier 1956, le Front républicain conduit par le Parti socialiste remportait les élections législatives au terme d’une campagne où il avait promis la paix en Algérie . Mais un mois après son investiture, le gouvernement du socialiste Guy Mollet réclamait à la Chambre des députés les pouvoirs spéciaux pour intensifier en Algérie la guerre commencée en 1954 et qui allait durer jusqu’en 1962. Ces pouvoirs spéciaux furent votés à une écrasante majorité par les députés, y compris par ceux du Parti communiste français.
Le gouvernement pouvant désormais gouverner par décrets, le 12 avril 1956 il rappelait en service actif les jeunes ayant terminé leur service militaire depuis moins de trois ans et prolongeait le service de ceux qui étaient sous les drapeaux.
Le rappel de jeunes de 23 ou 24 ans qui croyaient en avoir fini avec le service militaire a provoqué une véritable mutinerie, selon l’expression d’un rappelé de l’époque.
Dans une caserne, le drapeau tricolore est descendu du mât aux cris de « À bas Guy Mollet ! » À Carpiane, des rappelés scandent : « Fusillez Mollet ! »
Dans un train parti du camp militaire de Mourmelon en direction de Marseille pour embarquer vers l’Algérie, les rappelés détellent plusieurs voitures à Bar-le-Duc. Le signal d’alarme est tiré à plusieurs reprises pour freiner le train. À Toul, trois cents rappelés montent à bord encadrés par les CRS. À Dijon, les rappelés se dispersent dans la ville. Après un nouvel arrêt forcé à Beaune, le train repart avec les rappelés.
Même arrivés en Algérie, des rappelés continuaient à manifester y compris dans les trains les emmenant sur le théâtre des opérations militaires.
En août 1955, sous le gouvernement d’Edgar Faure, il y avait déjà eu des rappelés et des manifestations, dix-huit selon les historiens, mais en 1956 le mouvement est plus intense : 76 manifestations où se mêlent les rappelés et ceux qui les soutiennent.
À Grenoble, le 18 mai, des milliers de manifestants affrontent les CRS. Un Algérien a le pied arraché par une grenade offensive. Du ciment est coulé dans les aiguillages pour bloquer les trains. Le 23 mai, à Antibes, des centaines de manifestants s’opposent au départ de quinze rappelés, il y a vingt blessés. Le lendemain, au Havre, trois cents ouvriers du bâtiment bloquent un convoi. Le 27 mai, on recense des manifestations à Angers, Port-de-Bouc, Brive et Voiron. Le 28 mai, à Saint-Nazaire, six mille métallos, dockers et maçons de la CGT soutiennent vingt rappelés. La manifestation est réprimée par les CRS qui chargent au clairon !
Le gouvernement s’en prend aux journaux qui se font l’écho de la révolte des rappelés. Des perquisitions frappent le journal anarchiste Le Libertaire et La Voix du Peuple, le journal du MNA. L’hebdomadaire trotskyste La Vérité est saisi. Puis sont saisis à plusieurs reprises France Observateur, l’Express, l’Humanité et Témoignage Chrétien, ainsi que des éditeurs de livres.
Néanmoins, pour faire avaler la pilule et rappeler qu’il reste « de gauche », le gouvernement a annoncé, en même temps que le rappel du contingent, des mesures à caractère social, rapidement adoptées au cours des trois premiers mois : la troisième semaine de congés payés, la réduction, mais pas la suppression, de l’abattement de zone sur les salaires (cet abattement avait pour conséquence de réduire le montant des salaires de province par rapport à ceux de la région parisienne) et la création d’un fonds national de solidarité pour les personnes âgées.
Le PCF complice de Guy Mollet
Après la manifestation du 18 mai à Grenoble, la fédération de l’Isère du PCF, qui avait appelé à cette manifestation, avait tenu à rappeler « son opposition à toute action qui ne revêt pas un caractère de masse, aux actes isolés, aux actes de sabotage ». Dans le même communiqué, le PCF prétendait même y avoir vu « la présence significative de nombreux policiers en civils, des fascistes... ». Visiblement, le PCF ne tenait pas à ce que le mouvement des rappelés se développe.
La politique du PCF par rapport à la guerre d’Algérie était ambiguë. En 1955, quand les premiers contingents de rappelés furent envoyés en Algérie, le PCF avaient protesté contre ces rappels. Dans la campagne électorale de 1956, il avait expliqué que la victoire de la gauche ramènerait ces rappelés à la maison et il multipliait les prises de position et les délégations pour exiger la paix en Algérie, la paix mais pas l’indépendance, ce qui laissait la place à toutes les interprétations.
Malgré tout, lorsque Guy Mollet fit sa volte-face pour envoyer les rappelés en Algérie, les militants du PCF ou des Jeunesses communistes furent souvent au premier rang des manifestations de rappelés.
Même le vote des pouvoirs spéciaux par le PCF à Guy Mollet n’empêcha pas le PCF de continuer de faire des déclarations dans l’Humanité contre la guerre. Mais si ce quotidien se faisait l’écho des manifestations de rappelés, son opposition à la guerre restait platonique.
Le PCF laissa ainsi volontairement sans consigne ni politique les militants dans ses rangs qui auraient pu organiser la résistance aux mesures de guerre et même faire échouer le rappel du contingent. Il avait fait le choix politique de rester dans la majorité gouvernementale, même si le Parti socialiste très anticommuniste ne voulait pas de lui et de ses 150 députés.
Ce choix politique du PCF, au final solidaire de la politique coloniale de l’impérialisme français, allait permettre cette levée de troupes qui fit alors passer de 200 000 à 500 000 le nombre de soldats français engagés dans la répression du mouvement d’émancipation nationale du peuple algérien.