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Brésil : le camp des travailleurs n’est pas celui du PT
Dans la soirée du 17 avril, au cours d’une séance parlementaire homérique, suivie en direct à la télévision par des millions de brésiliens, 367 députés contre 137 ont approuvé la destitution de la présidente, tandis que sept s’abstenaient. Ce nouvel épisode ne clôt pas la crise politique qui secoue le Brésil depuis des mois, mais il accélère l’éviction du pouvoir de Dilma Roussef et du Parti des travailleurs (PT).
Défilant à la tribune les uns après les autres pour justifier leur vote, parfois parés des couleurs nationales, les députés ont donné un spectacle peu ragoûtant. Ils ont dénoncé avec virulence la corruption alors qu’ils ont monnayé leur vote jusqu’à la dernière minute contre la promesse d’un ministère et que les partis prônant la destitution – tous les partis de droite et le PMDB qui a lâché le PT avec qui il partage le pouvoir – sont notoirement corrompus. Un député d’extrême droite a osé dédier son vote à la mémoire du colonel Ustra, tortionnaire patenté et bourreau personnel de Dilma Rousseff, prisonnière politique à l’époque de la dictature militaire (1964-1985).
Cette déclaration est significative d’un aspect de cette crise : c’est la revanche de tous ceux qui n’ont jamais supporté qu’un parti issu du mouvement ouvrier et regroupant des opposants actifs à la dictature militaire accède au pouvoir, choisi par les classes populaires, même s’il a défendu les intérêts fondamentaux des possédants.
Les manifestations massives organisées par les partisans de la destitution, et largement relayées par des médias liés aux partis de droite, ont libéré la haine de classe des nantis, petits ou grands. La petite bourgeoisie est frappée par la crise qui touche de plein fouet le Brésil depuis 2014. Elle ne retient de la politique du PT, sous le mandat de Lula entre 2003 et 2010, une période de prospérité économique, que la hausse des bas salaires ou les primes octroyées aux familles les plus pauvres. Comme l’exprimait un couple de fonctionnaires interrogé par Le Monde : « Le Brésil est un pays pauvre, on ne peut pas donner ce qu’on n’a pas », ce que le journaliste traduisait, non sans pertinence : « Ils en veulent au PT qui les empêche de disposer d’une bonne mal payée, à demeure à la maison. »
Mais, tout aussi significatif de cette crise politique, le PT ne peut mobiliser dans les mêmes proportions les classes populaires pour soutenir Dilma Roussef. Et pour cause ! Pourquoi les travailleurs défileraient-ils pour soutenir une présidente qui a taillé dans les budgets de la santé ou de l’éducation, qui a supprimé des emplois de fonctionnaires et mis un terme à l’indexation du salaire minimum sur les prix alors que l’inflation atteint 10 % ? Pourquoi auraient-ils à cœur de soutenir un parti qui profite à grande échelle des pots-de-vin reversés par la société nationale Petrobras alors même que cette société a supprimé 170 000 emplois en deux ans et que le chômage explose ?
Le PT disposait d’un immense crédit auprès des travailleurs, du fait de son histoire et du passé de son principal fondateur. Ce crédit, Lula puis Roussef l’ont utilisé pendant treize ans à la tête de l’État pour servir les intérêts des propriétaires des mines, de l’agro-industrie et de tant d’autres secteurs dont les affaires ont prospéré. Avant que la crise économique n’atteigne le Brésil, le PT avait pu consacrer une infime parcelle de ces richesses pour soulager, si peu, l’immense pauvreté de ce pays. Mais aujourd’hui c’est fini et ce crédit est usé.
Les partis concurrents en profitent pour sonner l’hallali sur le PT. Ils ont beau dénoncer « l’interventionnisme économique » de Dilma Roussef qui ferait « peur aux investisseurs », ils poursuivront à peu de choses près sa politique. Mais, pour profiter sans encombre des multiples prébendes que le pouvoir à la tête de cet immense pays peut leur offrir, ils n’ont pas hésité à déclencher une crise politique.
Les travailleurs et les opprimés n’ont pas à pleurer sur le sort des dirigeants du PT, qui ne représentent en rien leurs intérêts. Ils ont à se donner les moyens de s’organiser et de se défendre dans la guerre de classe impitoyable que les patrons et le prochain gouvernement, quel qu’il soit, leur mèneront du fait de la crise économique.