Russie : Poutine et Platon même combat ?02/12/20152015Journal/medias/journalnumero/images/2015/12/2470.jpg.445x577_q85_box-0%2C62%2C822%2C1128_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : Poutine et Platon même combat ?

« Non à Platon » : ce slogan s’étale sur les bâches de nombreux poids lourds en Russie. Il vise un nouvel impôt, Platon en abrégé, une sorte d’écotaxe qui frappe 600 000 camions de 12 tonnes et plus dès qu’ils empruntent les voies rapides. La majorité du secteur relève d’artisans-routiers au long court qui, ayant souvent perdu leur emploi précédent, se sont endettés pour acheter un camion. Sillonnant par tout temps ce pays immense, au réseau routier mal en point qu’écument les racketteurs de la police, ces forçats de la route peinent à joindre les deux bouts. Alors ils refusent qu’une taxe les étrangle encore plus. Et cela se voit.

Courage, fuyons !

Entré en vigueur mi-novembre, Platon suscite des blocages routiers d’un bout à l’autre de la Russie. Du coup, Poutine espace ou annule ses déplacements en province, de crainte d’écorner son image présidentielle s’il venait à croiser des routiers paralysant tel ou tel grand axe.

Mais comme il tient à son image de protecteur de la nation, il a fait un geste. Il a réduit les amendes pour non-paiement de Platon. En vain, car les routiers veulent le retrait de cette taxe et ont appelé à bloquer Moscou le 5 décembre.

Face à cette contestation, le pouvoir a réagi comme à son habitude : par un black-out de l’information télévisée. Il a aussi fermé des sites anti-Platon sur le net.

Malgré cela, le mouvement des routiers recueille de la sympathie. La population les voit comme des travailleurs, ce qui fait d’ailleurs une différence avec les petits bourgeois moscovites qui contestaient Poutine dans la rue, il y a trois ans. Et puis, Platon frappe, par ricochet, les consommateurs, surtout ceux des milieux populaires dont le niveau de vie a reculé ces derniers temps.

Pouvoir d’achat en berne

Car Platon renchérit le prix des produits transportés par la route. Or l’inflation atteint déjà 14 % par an, alors que salaires et pensions sont gelés. Et cela alors que, du fait des répercussions de la crise mondiale et des sanctions occidentales, partout dans le pays des entreprises licencient, des usines tournent avec du chômage technique peu ou pas indemnisé. Même dans les grands centres, où cadres du tertiaire et professions libérales affichaient récemment une certaine aisance, la baisse du pouvoir d’achat saute aux yeux. Boutiques fermées faute de clients, restaurants et grands magasins à moitié vides, publicités omniprésentes pour le crédit à la consommation, y compris pour l’achat de manteaux en hiver ! Et il y a les demandes de petits boulots collées sur les murs, les arbres. Car cumuler deux ou trois emplois n’a rien de rare quand, en province, un ouvrier professionnel d’industrie touche l’équivalent de 300 euros, tandis que les prix flambent, et pas seulement ceux des marchandises importées d’Occident, que l’éducation payante se généralise, etc.

Et puis cela se sait que ce nouvel impôt, dont le prétexte officiel est de servir à moderniser le réseau routier, va remplir les poches de proches du pouvoir. La gestion-perception de Platon a été concédée pour treize ans à RTITS. Cette firme privée, qui va ainsi empocher 20 milliards d’euros, appartient notamment au fils d’un ami du président russe, devenu milliardaire depuis que Poutine dirige l’État. Dans l’affaire, RTITS se trouve associée à Gazprombank, filiale du géant gazier mondial que dirigent d’autres de ses proches.

Avec la contraction de la demande mondiale de matières premières, la crise ne permet plus aux privilégiés russes de s’enrichir comme avant. Alors, leur protecteur au Kremlin met à leur disposition de nouvelles sources de pillage.

On vient ainsi d’inaugurer le premier tronçon payant de l’autoroute Moscou-Saint-Pétersbourg, que construit un consortium réunissant le géant français du BTP Vinci et des oligarques du clan Poutine. Ce tronçon est resté gratuit le temps d’appâter les automobilistes habitant Moscou et travaillant en banlieue, et inversement. Son péage est si élevé pour un aller-retour en grande banlieue qu’une partie de ceux qui commençaient à le fréquenter l’ont déserté. Mais quel choix ont-ils, quand le même trajet sans péage prend trois heures ?

Le pouvoir russe soigne les siens, les bureaucrates affairistes, et pour cela s’attaque au niveau de vie des travailleurs sous toutes ses formes : par de nouvelles taxes, par le recul récent de l’âge de la retraite, en laissant les entreprises licencier. Et il donne l’exemple. Le secteur hospitalier d’État a sabré dans les emplois : en un an, 20 000 ont disparu à Moscou, soit un sur dix. Même chose en province. Délabrant ce qu’il reste du service public de santé, en principe encore gratuit, le pouvoir s’en prend à ceux qui n’ont pas les moyens d’aller se soigner dans le privé.

Des réactions malgré tout

Ces attaques ne passent pas toutes sans réactions. Les dockers pétersbourgeois viennent de faire grève pour l’augmentation de leurs salaires lors du renouvellement de leur contrat collectif. Il y a eu aussi des grèves, des rassemblements réunissant des milliers d’infirmières, médecins et agents hospitaliers. L’administration a tenté de désarmer le mécontentement par des reclassements, des primes de départ. Quant à celles et ceux qui ne se laissent pas faire, elle cherche à les intimider. Ainsi, la direction d’un grand dispensaire moscovite a fait intercepter par la sécurité un militant qui distribuait un tract syndical, puis appelé la police. Les policiers, qui l’ont relâché, ont dit ne rien trouver de criminel au tract, eux-mêmes ayant des problèmes de salaire et d’emploi. Mais cela ne se passe pas toujours ainsi.

Le pouvoir russe sait quel mécontentement suscitent ses mesures dans la population. C’est bien pourquoi il veut la saouler de propagande nationaliste. Si cela ne suffit pas à imposer le silence dans les rangs, il lui reste la « lutte contre l’extrémisme », couverture aux poursuites contre l’opposition de gauche ou d’extrême gauche politique et syndicale. Et là, la police politique FSB, héritière du KGB, ne manque ni d’effectifs ni de moyens.

Partager