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Turquie : élections législatives, une claque pour Erdogan
Les élections législatives du 7 juin en Turquie, auxquelles ont participé plus de 86 % de votants, soit 53 millions d’électeurs, le vote étant une obligation, se sont soldées par une claque pour le parti d’Erdogan, l’AKP, le Parti du développement et de la justice, dit islamiste modéré et qui l’est de moins en moins.
Depuis treize ans, l’AKP avait remporté la majorité des sièges à toutes les élections, notamment 327 sièges sur 550 aux précédentes élections législatives. Cette fois-ci, il n’a même plus la majorité absolue avec 258 sièges, loin des 276 requis pour former seul un gouvernement.
Un désaveu pour l’AKP
Dans cette campagne électorale, Erdogan ne s’est pas fait faute de se mettre en avant. Élu président de la République en août 2014 avec 52 % des suffrages, il était censé d’après la Constitution rester au-dessus des partis et ne pas participer à la campagne électorale. Il y est pourtant intervenu de multiples façons, sans compter l’usage quasi exclusif qu’il avait des médias officiels. Erdogan aurait voulu atteindre les 400 sièges nécessaires à l’AKP pour réformer la Constitution et faire adopter un régime présidentiel qui, entre autres, aurait mis son leader à l’abri de toute poursuite judiciaire. Or l’opposition, notamment ses anciens amis devenus ses meilleurs ennemis, la confrérie de Fethullah Gülen, détient des dossiers compromettants pour Erdogan et son entourage, veut le traduire en justice et parle de le faire juger pour haute trahison. Aujourd’hui, le projet d’Erdogan tombe à l’eau, avec des résultats qui sont un désaveu venant d’une partie de son électorat.
La bonne situation économique dont la Turquie a bénéficié depuis 2002 a longtemps profité à l’AKP d’Erdogan, en tant que parti au pouvoir. Mais l’économie est maintenant touchée par la crise et l’inflation érode les revenus des classes populaires. L’attitude d’Erdogan face aux scandales qui le touchent, sa politique répressive et autoritaire, notamment après les manifestations du parc Gezi en juin 2013, sa politique d’aide aux mouvements djihadistes de Syrie ont aussi contribué à dégrader l’image d’islamiste modéré qu’il avait voulu se donner. Le succès du parti d’opposition HDP traduit certainement en partie cette évolution de l’opinion.
Le succès du HDP
Le HDP (Parti démocratique des peuples) n’était pas sûr au départ de franchir la barre des 10 % nécessaires pour avoir des sièges. Or il a obtenu 13 % des voix et 80 sièges et a bénéficié du soutien d’une partie de la gauche et de l’extrême gauche turques. Voulant dépasser l’image de parti préoccupé exclusivement des intérêts de la minorité kurde, la campagne de son dirigeant Selahattin Demirtas visait à mettre en avant la bonne entente entre les différents peuples de Turquie, notamment entre les Turcs et Kurdes et les autres minorités, l’égalité entre hommes et femmes, le respect des droits des peuples de Turquie. Une partie de la population, et pas seulement kurde, a exprimé en votant pour lui son mécontentement et son désaveu d’Erdogan et de sa politique.
Le HDP ne se place certes pas du point de vue de l’intérêt des travailleurs, mais sur le plan des droits démocratiques et d’une démocratie bourgeoise idéale, opposée au régime policier et de plus en plus obscurantiste de l’AKP. Mais le HDP dérange et est en butte aux attaques de l’extrême droite et d’une partie de l’appareil d’État. Pendant la campagne, plusieurs de ses locaux ont été attaqués et, fait plus grave, lors de son grand meeting du vendredi 5 juin à Diyarbakir, où était rassemblée une foule de 100 000 personnes, deux bombes ont explosé, faisant trois morts et 243 blessés, dont plus d’une dizaine très grièvement.
Parmi les autres partis d’opposition, le CHP (Parti républicain du peuple), kémaliste social-démocrate, a du mal à apparaître comme une alternative et n’a pas progressé, malgré une campagne qui promettait de faire passer le salaire minimum de 960 livres turques à 1 500 (500 euros) et d’offrir aux retraités un double mois à l’occasion des deux périodes de fêtes. Il obtient à peine plus de 25 % des voix et 132 sièges.
Quant au MHP (Parti du mouvement nationaliste), d’extrême droite, il a quelque peu progressé et obtient 16,5 % des voix et 80 sièges, contre 13 % et 53 sièges en 2011, mais il reste loin de retrouver les résultats déjà obtenus dans le passé.
Le revers politique s’ajoute au revers social
C’est maintenant l’incertitude sur le plan politique, car aucun parti ne peut former un gouvernement homogène et, malgré plusieurs possibilités de coalition, on voit difficilement quel accord pourrait aboutir à un gouvernement stable. Une grande partie des milieux d’affaires seraient pour une coalition entre l’AKP et le CHP. Visiblement, ce serait aussi la préférence des grandes puissances, entre autres des États-Unis. Mais Erdogan l’acceptera difficilement, et sans doute aussi les dirigeants du CHP. Or Erdogan, en tant que président de la République, n’a que 45 jours pour désigner une personne ou un parti pour former un gouvernement, faute de quoi il faudrait recourir à de nouvelles élections.
Après des années de stabilité et de toute-puissance de l’AKP, ces élections du 7 juin sont en tout cas un revers politique sérieux pour le parti d’Erdogan. Il s’ajoute à un autre revers, sur le plan social celui-là, même s’il n’en est certainement pas indépendant. Ces dernières semaines, les grèves qui se sont étendues dans le secteur de la métallurgie, à partir de la grève de l’usine Renault de Bursa, ont forcé le patronat à d’importantes concessions. Elles ont montré que les travailleurs n’en sont plus à subir et à se contenter de promesses, et sont de plus en plus prêts à se fier à leur propre action. Pour la bourgeoisie turque, cela pourrait devenir à terme un problème plus grave que celui de l’instabilité éventuelle résultant des élections du 7 juin.