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- Lutte ouvrière n°2437
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il y a 100 ans
24 avril 1915 : le début du génocide arménien
Cent ans après le début du génocide des Arméniens d’Anatolie, le gouvernement turc d’Erdogan refuse toujours de reconnaître que ce massacre a été décidé sciemment par le gouvernement de l’époque, à l’encontre de toute une population. Son évocation par le pape vient d’entraîner un incident diplomatique entre la Turquie et le Vatican.
Cependant, il ne suffit pas d’invoquer la responsabilité du pouvoir turc et l’obstination de ses successeurs d’aujourd’hui à nier la réalité du massacre. Celui-ci s’est placé dans le contexte d’une guerre mondiale et tous les acteurs de celle-ci y ont contribué à leur façon.
Jusqu’au 19e siècle, l’Empire ottoman avait eu pour ciment idéologique l’islam, qui regroupait la communauté des croyants, et non l’appartenance ethnique turque de ses fondateurs et souverains. Les minorités religieuses juive et chrétienne étaient officiellement reconnues et exerçaient librement leur religion, les principales communautés chrétiennes étant les Grecs et les Arméniens. Ils étaient redevables d’impôts spécifiques, mais une cohabitation plutôt harmonieuse perdura pendant longtemps.
La communauté arménienne, surtout présente dans les régions d’Anatolie orientale et de Cilicie mais aussi dans les grandes villes de Constantinople (aujourd’hui Istanbul) et Smyrne (l’actuelle Izmir), était bien intégrée. Dans leur majorité, les Arméniens étaient des paysans pauvres. Mais dans les villes d’Anatolie orientale et de Cilicie, ils occupaient une bonne partie du commerce et de l’artisanat, ainsi que les professions libérales, les institutions judiciaires, les écoles, l’administration. À Constantinople, la communauté comptait même de riches commerçants, des architectes reconnus, de hauts fonctionnaires et des ministres.
C’est au 19e siècle que la situation se dégrada franchement dans l’Empire, sous la pression militaire et économique des grandes puissances et avec l’irruption de mouvements nationaux dont celles-ci se servirent pour arriver finalement à leur objectif : dépecer l’Empire pour s’en partager les dépouilles.
Un empire menacé de disparition
Dès 1821, la Grèce proclama son indépendance, qu’elle défendit les armes à la main, soutenue par une intervention anglo-franco-russe en 1827. En 1878, le traité de Berlin, sous l’égide des pays impérialistes, entérina le découpage des territoires ottomans des Balkans en une série de petits États
C’est dans ce contexte qu’un nationalisme spécifiquement turc et dirigé contre les non-musulmans s’affirma à son tour. Les persécutions commencèrent contre les Arméniens : habitant à proximité du Caucase, où les Russes avaient déjà annexé une partie des régions où ils vivaient, ils étaient soupçonnés d’une alliance possible avec l’ennemi. Sous le règne du sultan Abdülhamid II commencé en 1876, on installa dans les provinces arméniennes des musulmans, réfugiés de guerre, Kurdes et Tcherkesses, afin de noyer les Arméniens sous le nombre.
Les grandes puissances firent mine de s’émouvoir des persécutions contre les chrétiens pour justifier leur ingérence dans les affaires de l’Empire. Une clause du traité de Berlin plaça les Arméniens sous leur protection, mais ces protestations même de pure forme ne servirent qu’à attiser encore le nationalisme turc.
En 1895-1896, des rébellions éclatèrent en Anatolie et en Cilicie parmi la population arménienne. La répression fit entre 200 000 et 300 000 victimes. En août 1896, des milices armées par le pouvoir se livrèrent à un gigantesque pogrom antiarménien en plein Constantinople.
La guerre impérialiste et ses atrocités
La Première Guerre mondiale vit l’affrontement des puissances impérialistes pour se repartager les colonies et les zones d’influence. L’Empire ottoman s’allia avec l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie contre la Grande-Bretagne, la France et la Russie, pour essayer de mettre un coup d’arrêt au dépeçage de son territoire.
Les provinces arméniennes d’Anatolie orientale se trouvaient au plus près des combats et le thème de « l’ennemi de l’intérieur » refleurit de plus belle. En janvier 1915, l’armée turque fut défaite par les Russes à Sarikamish. Le 25 avril, une tentative de débarquement anglo-français eut lieu à Gallipoli, dans les Dardanelles. Le gouvernement nationaliste des Jeunes-Turcs choisit le moment pour tenter de conforter son pouvoir aux dépens des Arméniens, en déportant et en exterminant massivement cette population.
La défaite de l’Empire ottoman et de ses alliés signifia sa fin, mais pas celle du calvaire pour les populations, ballottées d’un territoire à l’autre suite à la création de nouvelles frontières et aux négociations des traités de paix. Les Arméniens ayant survécu aux massacres se réfugièrent dans des pays du Moyen-Orient, en Syrie et au Liban notamment, ou émigrèrent vers l’Arménie soviétique et l’Europe de l’Ouest. La nouvelle République turque refusa d’évoquer la question des Arméniens.
Ceux-ci furent victimes de la sauvagerie du gouvernement ottoman mais aussi de l’impérialisme qui, avec la colonisation, puis la Première Guerre mondiale, avait commencé à engendrer la barbarie moderne.