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Brésil : les raisons du mécontentement
Les manifestations du dimanche 15 mars contre la corruption et contre la présidente Dilma Rousseff ont rassemblé plus d’un million et demi de personnes dans plus de 80 villes brésiliennes. Ils étaient un million à Sao Paulo, capitale économique du pays et fief de l’opposition de droite. Cela rappelle juin 2013, quand des millions de gens manifestaient contre les hausses des tarifs des transports et les gaspillages de la Coupe du monde de football.
Cette fois, la droite semble être à l’initiative du mouvement, alors qu’en juin 2013 elle avait pris le train en route. Mais les raisons sont au fond les mêmes : les difficultés de la vie en période de crise, dans une société mal développée où les grands groupes font la loi.
La première revendication était la fin de la corruption, incarnée aujourd’hui par l’affaire Petrobras : un système de financement illégal des politiciens et des partis par le biais de contrats de travaux surfacturés passés par la compagnie pétrolière nationale. 49 politiciens sont accusés, de gauche et de droite, en majorité du camp gouvernemental : 22 députés, 13 sénateurs, deux gouverneurs en fonction, les présidents du Sénat et de la Chambre des députés, le trésorier du parti de la présidente (le Parti des travailleurs, PT), un ex-président de la République, d’ex-Premiers ministres et ministres, etc.
Mais une affaire de corruption, même mettant en cause des milliards de dollars, ne suffit pas forcément pour mobiliser autant de monde. Cette affaire éclate au moment où, en douze mois, l’inflation est montée à 7,7 % tandis que la monnaie nationale chutait de 30 % par rapport au dollar, au moment où le chômage croît, où les prix et les tarifs augmentent, en particulier ceux de l’essence, des transports et de l’électricité.
Car Dilma Rousseff, reniant toutes ses promesses électorales de fin 2014, a lancé un sévère plan d’austérité destiné à réduire de 34 milliards d’euros les dépenses de l’État. Les ministères les plus frappés sont l’Éducation (-31 %), la Santé (-6,7 %), le Développement social (-9,4 %), qui gère en particulier le programme Bolsa familia d’aide à 13 millions de familles pauvres. Les impôts augmentent, en particulier les indirects. L’allocation chômage va être limitée, alors que l’État réduit ses investissements d’infrastructures. Cela frappe la classe ouvrière et les couches populaires en général. Et ces économies permettront de poursuivre les cadeaux à la bourgeoisie, en particulier le paiement de la dette de l’État qui consomme 47 % du budget national. Car il n’est pas question de toucher à la finance ni aux grandes fortunes.
Le mécontentement populaire se tourne donc contre la présidente et le gouvernement en exercice, mais pourrait toucher aussi bien l’opposition de droite, qui a mené au gouvernement la même politique, et qui la mène là où elle est au pouvoir, dans l’État de Sao Paulo par exemple. Cette opposition de droite est bien sûr d’accord avec les plans d’austérité, et trempe elle aussi dans de multiples affaires de corruption, y compris dans celle de Petrobras. D’ailleurs elle ne réclame pas la destitution de la présidente, qui mettrait au pouvoir un homme de la droite gouvernementale, mais prépare les élections de 2018, qu’elle espère bien gagner.
Les partis et syndicats du camp gouvernemental ont mobilisé vendredi 13 mars pour défendre Dilma Rousseff et Petrobras, accusant la droite de putschisme. Mais les dizaines de milliers de gens qu’ils ont rassemblés n’étaient guère enthousiastes. Et pour cause : à Bahia, par exemple, un des principaux orateurs était un ancien président de Petrobras, membre du PT, dont le principal exploit est d’avoir fait passer de 2 à 18,8 milliards de dollars la facture pour la construction d’une raffinerie dans l’État de Pernambouc.
Dilma Rousseff veut aujourd’hui calmer les manifestants, dont certains à Rio réclamaient même une intervention de l’armée, trente ans jour pour jour après la fin de la dictature militaire. Elle dit qu’elle va s’attaquer à la corruption et veiller à répartir équitablement les sacrifices « nécessaires ». Elle n’en fera bien évidemment rien, car cela nécessiterait de s’en prendre à la bourgeoisie et à son système.