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Dans le monde
Ukraine : un an après Maïdan : l’incendie fait rage
Alors que l’accord de paix signé à Minsk mi-février n’a pas mis un terme à la guerre dans l’est de l’Ukraine entre l’armée et les forces séparatistes, le gouvernement pro-occidental de Porochenko a voulu célébrer sa première année au pouvoir.
Le 22 février, dans les grandes villes qu’il contrôle, il a organisé une « marche de la dignité » en l’honneur des victimes de la police, il y a un an, sur le Maïdan. Ce bain de sang, loin de briser la contestation, l’avait radicalisée. Cela avait précipité la chute de Yanoukovitch, dont le régime corrompu, pillard et sanglant, avait fédéré contre lui de larges couches de la population, qu’on y parle russe, ukrainien ou les deux.
Police blanchie, affairistes recyclés
À Kiev, cette marche a réuni la plupart des courants nationalistes et pro-occidentaux du Maïdan, avec nombre de politiciens affairistes restés en piste après avoir servi et été servis par Yanoukovitch. Dans la même veine, ces commémorations étaient encadrées par des policiers qui, à Kiev en tout cas, réprimaient sauvagement l’an dernier. Mais le gouvernement a besoin de sa police pour contrer les réactions populaires que sa politique pourrait provoquer. Alors, il a choisi d’exonérer ses policiers, en n’incriminant que les forces spéciales et de mystérieux snipers qui seraient venus de Russie.
Participant à cette mascarade, il y avait là aussi nombre de dirigeants européens. Après avoir dû accepter à Minsk la partition de fait de l’Ukraine, ils affichaient leur soutien à un État qui peine à s’imposer, et pas seulement en zone rebelle ou sur son pourtour. Debaltsevo, nœud ferroviaire important entre les républiques de Donetsk et de Lougansk, vient de repasser aux mains des séparatistes. Un même sort guette Marioupol, principal port industriel du Donbass, que Kiev avait occupé militairement en juillet dernier.
Même loin de la ligne de front, dite de cessez-le-feu, à Kharkov, la marche a été marquée par un attentat, malgré une forte présence policière. À cette occasion, les médias ont signalé qu’il se produit des attentats, chaque semaine à Kharkov, seconde ville du pays. Le seul grand port qui reste à l’Ukraine, Odessa, avec son million d’habitants, n’échappe pas non plus aux attentats. Au-delà du Donbass, de larges pans du pays, déstabilisés par les forces qui s’affrontent, risquent ainsi de verser dans le chaos.
Quand la barbarie avance en Europe
De passage à Paris, le Premier ministre de Roumanie, pays qui a 600 kilomètres de frontière avec l’Ukraine, a dit s’inquiéter d’une « instabilité qui pourrait gagner d’autres régions d’Ukraine », et pas seulement. Il pense bien sûr à ce qui se passa aux portes de la Roumanie, lors de l’éclatement de l’URSS, dans la petite république ex-soviétique de Moldavie, dont la partie industrialisée a fait sécession au fil de violents combats. Un quart de siècle plus tard, ce à quoi on assiste en Ukraine, autre ex-république soviétique, risque d’avoir des répercussions déstabilisatrices dans des pays limitrophes. Ne serait-ce que parce qu’ils partagent avec elle les mêmes peuples entremêlés, que telle population, ici majoritaire se retrouve minoritaire, et souvent opprimée, de l’autre côté de ce qui est devenu une frontière d’État. Cela dans une partie du continent où politiciens et gouvernants jouent avec le feu du nationalisme, cultivent l’irrédentisme, attisent la xénophobie comme autant de moyens de parvenir ou de se maintenir au pouvoir, sur fond de populations désespérées par la crise.
En Ukraine, on a un aperçu de ce à quoi cela conduit. En dix mois, 5 700 personnes officiellement, mais plus en réalité, ont péri du fait des combats dans l’Est. Des quartiers d’habitation, des usines, des hôpitaux, des écoles, des aéroports ne sont plus qu’amas de ruines. Ici, les médias ont rapporté comment, à Debaltsevo, des survivants sortaient des caves où ils avaient dû se terrer des semaines durant, par des températures négatives. Et un peu partout en Ukraine, alors que la monnaie a perdu les trois quarts de sa valeur en un an, que salaires et pensions s’effondrent, si même ils sont versés, la situation créée fait ressurgir de vieilles haines nationales entre voisins, divise parfois les membres de mêmes familles, qui vont se battre pour des intérêts qui ne sont pas les leurs. En tout cas, pas ceux des classes laborieuses.
Pour pousser leurs pions en ex-Union soviétique, les grandes puissances occidentales ont poussé à la confrontation avec le Kremlin par populations interposées. Maintenant que l’incendie menace de s’étendre, elles peuvent parler de cessez-le-feu, se désoler devant son non-respect et pointer la culpabilité de Poutine et des dirigeants russes. Elle est évidente, mais loin d’être unique : les démons que les dirigeants occidentaux ont contribué à faire sortir de leur boîte ne vont pas y retourner d’eux-mêmes.