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- Lutte ouvrière n°2428
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Il y a 70 ans, le 13 février 1945, la destruction de Dresde : La terreur contre le peuple allemand
La destruction de Dresde, dans la seule nuit du 13 au 14 février 1945, marqua les esprits par le caractère massif des bombardements et l'ampleur du massacre, tant il était évident que la ville n'était un objectif ni militaire ni industriel. Mais depuis février 1942 et jusqu'aux derniers jours de la guerre, plus de mille communes allemandes subirent ces bombardements, dont certaines furent réduites en cendres. Les complexes industriels ne furent visés qu'exceptionnellement, comme les voies ferrées menant aux camps de concentration : c'étaient les quartiers d'habitation et la population laborieuse qui étaient la cible, et on estime à 600 000 le nombre de civils allemands tués par ces bombardements.
Juste après la guerre, les vainqueurs décidèrent de rendre le peuple allemand collectivement responsable de la catastrophe et des horreurs du nazisme, refusant de distinguer entre les bourreaux au pouvoir et la population victime de la dictature. Pendant plusieurs décennies, il fut du même coup interdit de se plaindre des souffrances vécues pendant la guerre et sous l'occupation, souffrances présentées comme un juste châtiment. Depuis environ vingt-cinq ans, des néonazis se servent de ces mensonges et récupèrent la tragédie de Dresde au service de leur idéologie nauséabonde. Aux alentours de la date anniversaire du bombardement, ils organisent dans la ville des rassemblements prétendument en hommage aux morts de Dresde, font du régime nazi la victime des autres puissances impérialistes et osent parler d' « holocauste par les bombes », manière de nier l'extermination des Juifs. C'est devenu le principal rassemblement des néonazis, et dans le contexte de manifestations nombreuses organisées ces derniers mois par l'extrême droite de Pegida à Dresde, nul ne sait ce qu'il en sera cette année.
L'horreur s'abat sur Dresde
Le 13 février 1945, alors que la guerre était perdue pour l'Allemagne, Dresde fut méthodiquement détruite en quatorze heures par des bombardements d'une horreur inconnue jusque-là. La ville n'avait jamais été aussi peuplée : comptant 630 000 habitants avant-guerre, s'y ajoutaient en février 1945 des colonies d'enfants évacués de villes bombardées, 25 000 prisonniers de guerre alliés, des travailleurs forcés de plusieurs pays, ainsi que 600 000 réfugiés qui venaient d'arriver au terme de semaines de fuite éprouvantes : femmes, enfants, vieillards et invalides fuyant leurs provinces de l'Est devant l'offensive de l'Armée rouge. Au total, la population était comprise entre 1,2 et 1,4 million de personnes, parmi lesquelles plusieurs centaines de milliers n'avaient pas de logement, pas d'abri où se réfugier en cas de raid.
À l'heure où tant de villes avaient déjà été détruites, une rumeur tenace voulait que les alliés ne bombarderaient jamais Dresde, l'une des plus belles villes d'Allemagne, qui ne présentait aucun intérêt stratégique ni industriel, abritait un grand nombre d'hôpitaux et était remplie de civils et de réfugiés. Pour la même raison, dans les semaines précédant le bombardement, les autorités décidèrent de déplacer les défenses antiaériennes vers des régions plus exposées, et le 13 février, Dresde n'avait pour ainsi dire pas de défense militaire. C'est ainsi que dans les semaines et les jours qui précédèrent le bombardement, tant de personnes évacuées y affluèrent, jugeant qu'elles ne trouveraient pas dans le pays d'abri plus sûr que la « Florence de l'Elbe ».
Le choc fut énorme en Allemagne lorsqu'on apprit qu'en quelques heures et en trois vagues de bombardement, l'aviation anglo-américaine avait rasé Dresde. Pour beaucoup d'Allemands, si les Alliés avaient osé faire cela, c'est qu'ils ne feraient pas de quartier et qu'il fallait s'attendre au pire. Une blague sinistre se mit à circuler dans les ruines des villes bombardées : profitons de la guerre, la paix sera terrible.
Cette nuit-là, le 13 février 1945, des centaines de milliers de bombes furent larguées sur la ville, selon la tactique dite « tempête de feu », qui alliait bombes explosives et bombes incendiaires. 460.000 bombes explosives éventrèrent les bâtiments, faisant voler en éclats portes et fenêtres. Puis les bombes incendiaires au phosphore provoquèrent dans Dresde une terrifiante tempête de feu. L'incendie, d'une violence inouïe, fit naître un ouragan qui ne laissait aucune chance aux fuyards et, s'engouffrant dans les habitations, réduisit en cendres des dizaines de milliers d'habitants. D'autres, pris au piège dans les caves et les souterrains, périrent asphyxiés. Ensuite, les chasseurs descendirent très bas pour faucher à la mitrailleuse les ambulances, les voitures de pompiers qui arrivaient et les colonnes de réfugiés qui fuyaient la ville. Dresde brûla pendant sept jours. Le nombre des victimes n'a jamais pu être établi, des estimations parlent de plus de 200 000 morts.
La stratégie des Alliés : terroriser le peuple allemand
Pourquoi ce crime, pourquoi les dirigeants occidentaux ont-ils déchaîné cette guerre terroriste contre le peuple ? Ce ne sont pas les crimes du IIIème Reich qui les ont décidés à cela, contrairement à ce qu'ils ont voulu faire croire ensuite. Margarethe Buber-Neumann, une ancienne militante du Parti communiste allemand, écrivait en 1944 depuis le camp de concentration de Ravensbrück où elle était enfermée : « Dans ces villes allemandes vivaient des êtres que j'aimais et je savais qu'il y avait en Allemagne beaucoup de gens qui, comme mes proches et mes amis, étaient des ennemis du nazisme, et que c'était sur eux comme sur les autres que l'on jetait sans distinction bombes incendiaires et bombes au phosphore. » Le meurtre délibéré de civils et de blessés, les catastrophes subies en commun par nazis et antinazis firent grandir la haine contre ceux qui bombardaient et provoquèrent même un sursaut de soutien au régime. Plongeant les masses dans la terreur, la résignation, ils leur démontraient l'absence d'alternative au régime.
Deux jeunes filles de moins de vingt ans écrivaient alors : « Et voilà que la haine, pas seulement contre les Allemands, non, contre le monde entier, a fini par avoir raison de moi aussi. (...) Ils larguent leurs bombes, tirent sur des trains et des civils, balancent des bombes à retardement et terrorisent la population. Que pouvons-nous attendre de nos libérateurs sinon la misère et la détresse ? Ne voit-on pas déjà ce qui va se passer ? (...) J'ai perdu toute foi en l'humanité. » Et sa soeur, prise au piège entre la terreur nazie et celle que lui inspiraient les Alliés : « Récemment encore, je croyais fermement que la victoire des Alliés apporterait des droits pour tous, mais j'ai perdu mes illusions. »
Un terrible coup contre les opposants au nazisme
En réalité, la campagne de bombardements systématiques porta un terrible coup aux résistants allemands, qui attendaient depuis des années le moment où ils pourraient agir efficacement contre la dictature. L'État nazi était en train de s'effondrer, le chaos généralisé pouvait offrir la possibilité aux classes laborieuses de s'organiser, d'intervenir, de renverser le pouvoir comme elles l'avaient fait en 1918. Et c'est bien cette éventualité que les Alliés craignaient, et la raison pour laquelle ils écrasèrent la population sous les bombes. Il fallait ne lui laisser aucun espoir : les armées alliées ne viendraient pas libérer le peuple allemand du dictateur, mais le traiteraient tout entier en ennemi qu'on vient de vaincre. Tuer, terroriser, démoraliser, disperser la population était une mise en condition pour lui faire accepter son sort et l'occupation à venir.