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- Lutte ouvrière n°2416
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Dans le monde
Ukraine : Du bras de fer international à la « guerre totale » ?
Sur fond de bruit de bottes dans l'Est sécessionniste de l'Ukraine, le président russe Poutine a tenu le devant de la scène au sommet australien du G20 à Brisbane. Il s'y est retrouvé au centre des critiques des dirigeants occidentaux, tel Obama qui a dit vouloir « contrer l'agression de la Russie contre l'Ukraine, agression qui menace le monde entier ».
Ils montrent leurs muscles
Dans la foulée, l'Union européenne a allongé la liste des responsables russes et ukrainiens prorusses auxquels elle interdit son territoire. Puis l'Élysée a interdit aux matelots russes -- qui s'y entraînent depuis des mois -- l'accès au Vladivostok, un des deux navires de guerre que les chantiers de Saint-Nazaire ont construits pour la marine russe. En réplique à ces sanctions, Poutine a expulsé des diplomates polonais et allemands accusés d'espionnage.
Si les protagonistes haussent le ton, les affaires ne perdent pas leurs droits. Ainsi, Hollande a redit que, « les conditions de la livraison [des deux Mistral] n'étant pas réunies », lui seul décidera quand elle aura lieu. Dans un éditorial consacré à la Russie, Les Échos écrivent qu'annuler leur vente aurait « des conséquences financières pour la France mais aussi pour l'emploi à Saint-Nazaire et, au-delà, pour la crédibilité de la signature de l'État français ». Autant de « bonnes » raisons que Paris partage avec ses homologues européens et qui faisaient titrer ce quotidien : « Les Européens restent modérés face à la Russie. »
Une rivalité qui pousse à l'affrontement
Mais dans une Ukraine que se disputent les puissances occidentales et le Kremlin, la « modération » n'est de mise ni d'un côté ni de l'autre. La trêve signée en septembre n'a jamais été respectée. Chaque jour apporte son lot de victimes civiles et militaires. Et depuis que des élections présidentielles ont eu lieu dans les fiefs séparatistes de Donetsk et Lougansk, l'heure est à l'escalade. Côté séparatiste, les renforts en hommes et en armes affluent de Russie. Quant au président ukrainien, il se dit « préparé à un scénario de guerre totale », avec « notre armée [qui est] en meilleur état » car « nous recevons du soutien du monde entier ».
De Kiev à Moscou : la politique du pire
Mais cette guerre ne se mène pas sur le seul terrain militaire. Ainsi, le président ukrainien vient de décréter l'arrêt des activités des institutions publiques dans le Donbass sécessionniste. Retraites et salaires n'y seront plus versés, particuliers et entreprises n'auront plus de comptes bancaires ; les services publics ne seront plus assurés. On évacuera les fonctionnaires vers d'autres régions. En plus de la guerre, c'est l'asphyxie économique pour les populations locales.
Kiev sait bien, comme l'a déclaré à la presse son gouverneur de Lougansk, que dans toute la région, même là où se trouvent des militaires loyaux à Kiev, « l'opinion est prorusse à 80-95 % ». Mais, en prenant ces mesures qui reconnaissent la partition du pays, le gouvernement central fait le pari que les habitants de ces régions, pris à la gorge, se détourneront du Kremlin et de ses partisans locaux. À plus grande échelle, en soumettant la Crimée à un blocus étroit, Kiev mise sur le fait que Moscou ne pourra pas durablement ravitailler par mer ses deux millions d'habitants...
Le Kremlin, lui, tout en s'assurant des appuis à l'est et au sud de l'Ukraine, compte sur le dénuement financier du pouvoir ukrainien pour que, l'hiver approchant, il doive négocier un accord politique et économique aux conditions de Moscou, ne serait-ce que pour assurer le chauffage de la population. En tout cas, les officiels ukrainiens reconnaissent en être incapables. Ils ne parviennent même pas à assurer que, dans les régions de l'Est qu'ils contrôlent, les salaires soient versés. Ainsi, dans les mines de Selidovo et de Novogrodovka, les mineurs, n'ayant rien touché depuis septembre, se sont mis en grève.
Pareille situation n'est pas rare, et dans tout le pays. La guerre a aggravé l'état de délabrement de l'économie, déjà en récession avant qu'elle n'éclate. Il y a bien sûr les dépenses publiques qu'elle entraîne, les destructions qu'elle provoque. Mais en plus, dans chaque camp, militaires et paramilitaires tuent, volent, rançonnent la population, y compris les autorités locales, pour autant qu'il en subsiste.
Et du fait que la population, toutes régions confondues, est plongée dans une catastrophe qui n'en finit pas, les Obama, Hollande ou Merkel n'en ont cure. Eux et leurs banquiers attendent de leurs alliés de Kiev, mais aussi du Kremlin, qu'ils garantissent leur ordre, et leurs profits. Et peu leur importe si, dans cette « guerre totale » qu'on leur mène, les travailleurs d'Ukraine en crèvent, dans tous les sens du terme.