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Écosse : Mécontentement social et illusions nationalistes
À en croire les sondages d'opinion, le référendum du 18 septembre sur l'indépendance de l'Écosse s'annonce serré. Non pas qu'il ait l'enjeu que les politiciens de tous bords lui prêtent car, quoi qu'en dise le camp du « oui », indépendante ou non, la petite Écosse et ses 5,3 millions d'habitants resteront à la merci du capital britannique et de ses politiciens.
Depuis la constitution du Royaume-Uni avec l'Angleterre et l'Irlande, en 1707, après la révolution bourgeoise anglaise, l'Écosse est devenue partie intégrante d'une entité économique dont le centre est à Londres. Plus des trois quarts de son activité économique dépendent de l'Angleterre, avec, par importance décroissante : la production de pétrole en mer du Nord ; les services financiers (les banques RBS et Lloyds et le fonds de placement Standard Life, qui comptent parmi les huit plus grosses institutions financières britanniques, ont leurs sièges en Écosse mais l'essentiel de leurs opérations est à la City de Londres) ; et la métallurgie navale (les groupes Weir et Babcock, qui sont des sous-traitants de la marine britannique).
Tout cela n'empêche pas les nationalistes écossais de prétendre qu'une fois indépendante, l'Écosse aurait un PIB par habitant comparable à la Suisse. L'avenir de l'Écosse serait ainsi de devenir une sorte de Koweit à l'européenne, grâce à son pétrole, tant qu'elle en a !
Depuis qu'il a pris la tête des institutions écossaises, en 2007, le Parti nationaliste écossais (SNP) a utilisé la relative liberté de manoeuvre que lui donnait l'autonomie régionale pour donner plus de crédibilité à la perspective d'une Écosse indépendante, par des mesures populaires pas trop coûteuses à court terme. C'est ainsi que les médicaments sont gratuits en Écosse, comme c'est aussi le cas au Pays de Galles et en Irlande du Nord (alors qu'il en coûte 10 euros par médicament prescrit à la plupart des Anglais). Les soins à domicile pour les personnes âgées et handicapées sont aussi gratuits en Écosse, mais pas en Angleterre, et le SNP a refusé d'introduire les frais de scolarité universitaires exorbitants imposés aux étudiants en Angleterre (7 500 euros par an au minimum). En même temps, le SNP s'est abstenu d'appliquer nombre des mesures de privatisation adoptées en Angleterre dans la santé et l'éducation.
L'objectif du SNP est aussi de faire de l'Écosse un pôle d'attraction pour les investisseurs étrangers. Son programme prévoit par exemple de supprimer les taxes aéroportuaires (avec le soutien enthousiaste des compagnies aériennes) et de réduire l'impôt sur les bénéfices à 17 % (contre 20 % l'an prochain en Angleterre), ce qui lui a valu les louanges d'une partie des milieux d'affaires. En même temps, le SNP propose de construire un appareil d'État complet, où les fonctions assurées par Londres le seraient par des institutions écossaises, avec sa propre armée et même sa place à l'OTAN. Il faudra bien que quelqu'un paie l'addition et, comme ce ne seront pas les patrons, c'est à la population laborieuse que le SNP la présentera.
Il est difficile de dire à quel point l'électorat populaire écossais est séduit par les mirages des marchands d'illusions nationalistes. Mais ce qui est certain, c'est qu'il a des comptes à régler avec les institutions britanniques et les trois grands partis qui les incarnent, - Travaillistes, Conservateurs et Libéraux-Démocrates. Bien qu'ayant régulièrement élu une majorité écrasante de députés travaillistes au Parlement de Londres (les Conservateurs n'ont qu'un seul élu en Écosse aujourd'hui), cet électorat a été gouverné par des régimes conservateurs pendant deux des trois dernières décennies et s'est vu imposer la politique antiouvrière menée par Londres depuis le début de la crise.
Or, dans ce référendum, ces trois grands partis ont fait cause commune contre l'indépendance. Le fait qu'ils aient agité la menace de toutes sortes de cataclysmes si le « oui » l'emportait semble s'être retourné contre eux et avoir contribué à mobiliser l'opinion populaire au point que la proportion des électeurs potentiels sur les registres électoraux dépasse le niveau record de 90 %, - y compris à Easterhouse à Glasgow, l'un des plus grands quartiers de taudis d'Écosse, où l'abstention domine traditionnellement. À quoi il faut ajouter les jeunes de 16 et 17 ans, qui voteront pour la première fois et dont beaucoup se prononceront plus sur la politique du SNP en matière d'éducation que sur l'indépendance à proprement parler.
Quant à la petite bourgeoisie écossaise, qui a été la gagnante de l'autonomie grâce aux emplois bien payés qu'elle en a tirés, elle est probablement en grande partie en faveur de l'indépendance. C'est d'ailleurs pour tenter de la neutraliser que les trois grands partis ont assorti leur campagne pour le « non » de promesses sur un élargissement du pouvoir des institutions régionales.
Néanmoins, il n'est pas impossible que le « oui » l'emporte, malgré l'aberration que constituerait la formation d'un État de plus dans une Europe déjà trop morcelée - en particulier pour la population laborieuse, écossaise comme britannique, qui se trouvera divisée par une frontière de plus. Cela dit, cette indépendance, si elle se réalise, ne se fera pas sans un processus de marchandage destiné à préserver les intérêts du grand capital et de l'État britannique, processus dont on prévoit qu'il se poursuivra jusqu'en 2016 au moins, c'est-à-dire après les prochaines élections au Parlement de Londres. D'ici là, bien des événements peuvent se produire.