Égypte : Al-Sissi candidat Le pouvoir militaire cherche une légitimité09/04/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2014/04/une2384.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Égypte : Al-Sissi candidat Le pouvoir militaire cherche une légitimité

L'annonce, le 26 mars, de la candidature du maréchal Al-Sissi à la prochaine élection présidentielle égyptienne fixée en mai n'a rien pour surprendre. Chef du Conseil suprême des forces armées, ministre de la Défense et vice-Premier ministre, cet ancien chef des renseignements généraux sous Moubarak devait légalement quitter ses fonctions afin de se présenter pour remplacer le président par intérim Adli Mansour, officiellement à la tête du pays depuis la destitution de Mohamed Morsi, membre des Frères musulmans, en juillet 2013. L'armée avait alors directement repris le pouvoir à la suite des grandes manifestations anti-Morsi de la fin juin.

Une fois Morsi écarté, livré aux juges, et les responsables des Frères musulmans arrêtés, l'armée ne s'est pas contentée de poursuivre, au nom de la lutte contre le « terrorisme », la répression contre les partisans de la confrérie. Elle a continué de publier décrets et arrêtés destinés à museler toute opposition à son pouvoir : les décrets antimanifestations passés à l'automne ont légalisé l'arrestation d'opposants de gauche, y compris préventivement à leur domicile, et leur condamnation comme au temps de Moubarak. Des ONG estiment que, depuis juillet 2013, 15 000 opposants politiques ont été emprisonnés.

Le pouvoir ne peut en effet se contenter de l'image « anti-Morsi » que Al-Sissi s'est construite et du réel soulagement ressenti par une grande partie de la population, débarrassée de la présence pesante de la confrérie au gouvernement. L'état-major est désormais en première ligne pour affronter l'impatience populaire : non seulement les prix de tous les produits de première nécessité ont augmenté, mais les promesses d'un salaire minimum pour les salariés du secteur public -- loi votée dans l'après-Moubarak -- n'ont presque pas été tenues. Quant aux patrons du secteur privé, dont les salariés représentent les deux tiers des 26 millions de travailleurs salariés du pays, ils ne sont même pas tenus de s'y conformer.

Il n'est donc pas étonnant que, sous Tantaoui, sous Morsi comme sous Al-Sissi, les manifestations et les sit-in aient continué, tant les revendications pourtant minimales des ouvriers et des employés ont été ignorées. La répression contre les grévistes a continué après le coup de force du 3 juillet, se renforçant même dans certains secteurs. Même s'ils ont connu une accalmie au début de l'été dernier, les mouvements de mécontentement ouvrier ont repris, par exemple pour réclamer la démission d'un directeur corrompu et l'application du salaire minimum, comme en février dernier à l'usine textile Misr de Mahalla-al-Khoubra.

Dans d'autres usines textiles, des grèves de solidarité ont eu lieu, exigeant au passage les salaires impayés ou les primes semestrielles non versées. Récemment, une large grève des transports publics a bloqué les bus dans vingt-huit dépôts du Grand Caire, les employés réclamant notamment des contrats de travail permanents et des augmentations de salaire. Le nouveau Premier ministre, Mehleb, ancien grand patron du BTP, eut beau pleurnicher que « des revendications qui dépassent la logique allaient détruire le pays », les sit-in, protestations et coupures d'électricité n'ont pas cessé.

La récente condamnation à mort de plus de 500 manifestants pro-Morsi se veut un signal de fermeté, non seulement à l'adresse des partisans de l'ancien président, dont le parti est pour l'instant écarté de la scène politique. Elle est une menace adressée à toute la population et en particulier aux travailleurs, lorsqu'ils protestent et réclament leurs droits.

L'élection de Al-Sissi à la présidence vise à donner une légitimité démocratique au pouvoir de l'armée. Mais elle ne règlera en aucune manière la situation de l'immense majorité pauvre de la population égyptienne. Et celle-ci continuera probablement de le faire savoir aux militaires, aux capitalistes locaux et aux grandes puissances qui les soutiennent.

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