Inde : La condition féminine, problème social et non sécuritaire26/09/20132013Journal/medias/journalnumero/images/2013/09/une2356.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Inde : La condition féminine, problème social et non sécuritaire

Le 16 décembre 2012, une étudiante kinésithérapeute de 23 ans avait été torturée et violée à Delhi, avant de succomber à ses blessures. Après huit mois de procès, un tribunal vient de prononcer la peine de mort contre quatre hommes accusés de ce crime. Un cinquième, en fait le principal accusé, s'était pendu en prison, en mars, dans des conditions restées obscures.

Bien que les quatre accusés aient toujours clamé leur innocence et que les éléments censés prouver leur culpabilité se soient révélés douteux, ce verdict aurait été accueilli par des scènes de réjouissance. Comme si la pendaison de ces quatre hommes pouvait constituer une « réparation » pour la victime et ses proches ! Comme l'a dit l'une des rares critiques ayant osé en Inde se prononcer publiquement contre cette décision, la militante des droits de l'homme Tata Rao, cette sentence est tout au plus une « vengeance... qui ne fera rien pour mettre un terme à la violence subie par les femmes » et, faut-il ajouter, une vengeance tout aussi barbare que la violence qu'elle est censée combattre.

Mais surtout, même si la peine capitale n'est pratiquement jamais appliquée en Inde (il y a eu en tout deux exécutions depuis 1995), cette sentence a un caractère avant tout social et politique, pour ne pas dire politicien.

En décembre dernier, des dizaines de milliers de jeunes, essentiellement étudiants ou de milieux aisés, étaient descendus dans la rue pour manifester leur indignation face à ce meurtre odieux dont la victime était l'une des leurs. Mais, derrière cette indignation légitime, il y avait des forces dont les objectifs l'étaient moins. On était à moins d'un an des élections pour l'assemblée régionale de Delhi, scrutin test qui doit avoir lieu en novembre avant les élections nationales de 2014, et les deux principaux rivaux dans ces élections, le Parti du Congrès au pouvoir et le BJP (parti de l'extrême droite hindouiste) se livraient à une surenchère sécuritaire sur la peine de mort, afin de se rallier les voix de cette jeunesse.

Cette surenchère est d'autant plus odieuse qu'elle est pratiquée par deux partis qui, ayant été l'un comme l'autre au pouvoir, portent une lourde responsabilité dans le véritable servage social imposé aux femmes indiennes, servage qui tend à légitimer la violence qu'elles subissent, qu'elle prenne la forme de viol, d'enlèvement ou d'assassinat pur et simple.

Les dernières statistiques officielles, celles de 2011, font état de 24 200 viols, dont la grande majorité sont le fait de propriétaires terriens membres des castes dites supérieures qui considèrent qu'ils ont un droit de cuissage sur les femmes et les filles de leurs ouvriers agricoles et métayers, le plus souvent appartenant aux castes dites inférieures des dalits ou intouchables. Or, si les deux grands partis ont fait du bruit autour du viol du 16 décembre, ils n'ont rien dit, par exemple, sur les 19 viols dont avaient été victimes des femmes dalits au cours du seul mois d'octobre 2012 au Haryana, l'État qui entoure Delhi et dans lequel le Parti du Congrès est au pouvoir.

Qui plus est, au cours de la même année 2011, 8 600 jeunes mariées ont été assassinées parce que leur famille n'avait pas rempli les conditions de leur contrat de mariage, reste de pratiques anciennes, en principe interdites, qui réduisent les femmes au rôle de marchandise dans les relations interfamiliales.

Et encore, ces chiffres ne donnent-ils qu'une image déformée de la réalité. Parmi les viols recensés, seuls 17 % donnent lieu à une inculpation et moins de 10 % à une condamnation. Selon les organisations féministes indiennes, 90 % des viols ne seraient pas comptabilisés, soit parce que les victimes n'osent pas porter plainte, soit parce que la police refuse d'enregistrer leurs plaintes pour ne pas déplaire aux coupables.

Ces viols et ces meurtres, comme bien d'autres formes de violences dont les femmes sont victimes en Inde, ont en commun d'être des sous-produits d'une pauvreté endémique dans une société de classes dont les inégalités criantes s'appuient sur des pratiques et des préjugés barbares hérités d'un passé ancien, et dont la survivance est alimentée par les classes possédantes. Dans un tel ordre social, la vie des pauvres, et en particulier des femmes pauvres, ne vaut pas cher. Et cet ordre social, après le colonialisme britannique, ce sont les grands partis indiens qui en ont été les garants depuis l'indépendance, ceux-là mêmes qui, hypocritement, jouent aux défenseurs de la condition féminine en brandissant la peine capitale.

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