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- Lutte ouvrière n°2351
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Égypte : Après l'intervention sanglante contre les Frères musulmans, qui est visé par la dictature ?
Les chefs de l'armée égyptienne avaient averti qu'ils agiraient avec « fermeté » pour faire évacuer les places du Caire occupées par les partisans des Frères musulmans depuis la déposition de Mohamed Morsi, au début juillet. Ils ont tenu parole : l'intervention de l'armée et de la police, entre le 14 et le 16 août, s'est soldée par des centaines de morts. L'armée n'a pas fait de quartier parmi ceux que les dirigeants de la confrérie avaient appelés à résister coûte que coûte pour imposer le retour à son poste du président déchu. De leur côté, ceux-ci savaient fort bien à quoi s'attendre, mais ils tenaient à faire jusqu'au bout leur démonstration, fût-ce en envoyant leurs propres partisans à un massacre prévisible.
Dès le départ forcé de Moubarak en février 2011, il était clair que la bourgeoisie égyptienne et les dirigeants impérialistes ne visaient qu'à une chose : rétablir le plus vite possible un pouvoir politique capable de tenir en respect les masses populaires révoltées par leur condition misérable. Derrière les discours creux sur la nécessité d'instaurer la démocratie dans le pays se cachaient des manoeuvres frénétiques pour trouver sur quelles forces politiques s'appuyer, et l'Égypte en compte deux essentielles : l'armée et les Frères musulmans.
UN PASSÉ DE COLLABORATION
Si depuis 1952 l'armée a été la colonne vertébrale du pouvoir, elle a aussi su instaurer une collaboration feutrée avec les Frères musulmans. Bien installés dans les quartiers des villes, ceux-ci ont assis leur influence sur leur capacité à fournir à la population un certain nombre de services sociaux, voire médicaux et sanitaires, que l'État se souciait bien peu de lui fournir. Cette influence faisait de la confrérie un facteur de stabilité sociale bien utile au pouvoir en place, même si la collaboration de ces deux forces restait toujours conflictuelle.
Les conditions de la chute de Moubarak et le simulacre de processus démocratique enclenché ensuite ont mis cependant la confrérie face au défi d'exercer directement le pouvoir politique dans une situation sociale de plus en plus dramatique. Le mécontentement s'est alors tourné rapidement contre son gouvernement. C'est ce qui a permis à l'armée de se présenter comme un sauveur disposant de l'appui populaire pour déposer Mohamed Morsi par le coup d'État du 3 juillet.
Les rôles sont maintenant inversés et le calcul des dirigeants des Frères musulmans est visiblement de tabler sur le discrédit rapide des nouveaux gouvernants en se présentant désormais comme la seule alternative politique à la dictature militaire. Ils peuvent pour cela se parer de l'auréole de martyrs de la démocratie, consacrée dans le sang des victimes. Ils le peuvent d'autant plus que pratiquement toutes les autres forces politiques se sont rangées derrière l'armée et ont contribué à la présenter comme le sauveur du peuple égyptien.
LA VÉRITABLE CIBLE DE LA DICTATURE
La dictature militaire ne sauvera le peuple ni de la misère, ni même du danger islamiste. Soutenus entre autres par l'Arabie saoudite, les chefs de l'armée n'offrent aucune garantie de laïcité. De leur côté, les Frères musulmans ont saisi l'occasion de radicaliser leurs partisans, les dressant non seulement contre le pouvoir en place, mais aussi contre les chrétiens coptes qui, accusés de collaboration avec l'armée, sont la cible de leurs représailles. Mais bien d'autres, militants de gauche, militants syndicaux ou ouvriers en grève, pourraient demain devenir également la cible de militants de la confrérie. Il n'est d'ailleurs même pas exclu qu'une forme de collaboration se rétablisse, à ce niveau-là ou au niveau politique, entre le pouvoir militaire et les Frères musulmans. Car malgré les massacres auxquels on vient d'assister, la cible principale de la dictature qui se remet en place n'est pas les Frères musulmans. C'est le peuple égyptien lui-même avec ses aspirations à sortir de l'immense misère dans laquelle il est plongé depuis des décennies. Ni la bourgeoisie égyptienne ni l'impérialisme ne comptent donner satisfaction à aucune de ses revendications. Leur argent, leurs capitaux, leurs profits ne sont pas faits pour cela.
C'est bien à cette tâche que les chefs de la dictature militaire comptent désormais s'employer, en se servant tant que ce sera possible de leur crédit de « sauveurs du peuple ». Ils s'y emploient d'ailleurs déjà. Même si cette intervention est moins spectaculaire et moins sanglante que celle de ces derniers jours au Caire, la police et l'armée ne cessent d'intervenir contre les travailleurs en grève et le feront peut-être de plus en plus. C'est bien pourquoi la caution que des forces politiques se présentant comme progressistes, voire « révolutionnaires », ont accordée à ces forces de répression est grave car elle contribue à désarmer les travailleurs face à elles.
Or pour se défendre, pour défendre leurs aspirations, les travailleurs égyptiens doivent apprendre à ne compter que sur eux-mêmes, que sur leur propre organisation. Plus encore, ils doivent préparer leur alternative politique à la dictature de la bourgeoisie et de l'impérialisme, qu'elle prenne la forme de la dictature des militaires, de la dictature des islamistes ou d'une collaboration de ces deux forces. Et c'est bien la seule véritable alternative possible, et la seule qui soit véritablement révolutionnaire.