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Bulgarie : Court-circuit au sommet et dans la rue
Cette colère populaire a été attisée par les récentes hausses du coût de l'électricité, des hausses insupportables car pouvant engloutir les deux tiers d'une pension de retraite. Les manifestants dénonçaient aussi la complicité des autorités gouvernementales dans l'affaire.
Le comble est que la Bulgarie ne manque pas d'électricité. Elle en exporte même en Grèce et en Serbie. Mais voilà, depuis la privatisation du secteur en 2000 et surtout depuis l'adhésion de la Bulgarie à l'Union européenne en 2007, la fourniture d'électricité est passée aux mains de trois grosses sociétés, l'autrichienne EVN et les tchèques CEZ et Energo Pro. Ces grands groupes (EVN est présent dans 21 pays), derrière lesquels on retrouve notamment le financier Citibank, le géant de l'énergie allemand E.ON, l'État tchèque et un actionnariat des plus opaques, se sont fait une spécialité de faire main basse sur la production, la fourniture et la distribution d'énergie dans toute l'Europe centrale et orientale.
Pour ce faire, ils ont bénéficié des aides structurelles que l'Union européenne accorde, sous prétexte de moderniser ses nouveaux États membres, aux groupes capitalistes qui s'y installent. Et cela permet à ces derniers de s'emparer des nouvelles parts de gâteau que représente le marché des pays anciennement dits de l'Est. Sur place, EVN, CEZ et Energo Pro n'ont pas oublié d'arroser les gouvernants locaux, pour qu'ils ferment les yeux sur la façon dont ces groupes rackettent les populations. Et quelles prestations leurs prix scandaleux sont-ils censés justifier ? Ces groupes, qui n'ont investi localement que le strict minimum, se sont bornés pour l'essentiel à reprendre des infrastructures préexistantes (barrages, centrales, réseaux...) afin de les faire fonctionner à leur profit.
Résultat : les factures moyennes d'électricité sont de 100 euros, quand la pension d'un retraité bulgare plafonne à 150 euros. C'est une ponction intolérable, même pour un travailleur ayant un emploi, car le salaire moyen n'atteint pas 400 euros dans ce pays.
Mais il en aurait fallu bien plus - ou que la colère populaire éclate plus tôt - pour que les démocraties qui dominent le continent européen s'émeuvent d'une telle situation. À ce jour, les dirigeants de l'Union européenne n'ont rien trouvé à y redire. Et il a fallu le renversement du gouvernement bulgare pour qu'on apprenne que, depuis 2010, les autorités européennes menaient l'enquête (très discrètement donc) sur des affaires de corruption politique qui impliqueraient CEZ. Le crime est apparemment plus grave (quand on se fait prendre), pour les gouvernants ouest-européens, que de vendre à prix d'or de quoi s'éclairer et se chauffer à la population la plus pauvre (350 euros de revenu mensuel moyen) de l'Union européenne.
Quant à Borissov, ex-garde du corps du dernier chef de la Bulgarie stalinienne, ex-général de la police soupçonné de liens avec la mafia, mais converti aux charmes de la « démocratie », il a beau jeu de prétendre s'incliner devant la volonté populaire en se retirant. Cela lui permet de laisser entendre que les responsables du sort des classes populaires bulgares, ce sont d'abord « l'étranger », « l'Europe », bref, tout sauf les possédants locaux et leurs mandants à la tête de l'État.