Trois militantes assassinées à Paris : L'émotion et l'indignation des Kurdes18/01/20132013Journal/medias/journalnumero/images/2013/01/une2320.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Trois militantes assassinées à Paris : L'émotion et l'indignation des Kurdes

Samedi 12 janvier, ce sont près de 15 000 personnes qui ont manifesté à Paris en rangs serrés, témoignant de l'émotion qui a saisi une grande partie de l'immigration kurde et turque après l'assassinat de trois militantes kurdes deux jours plus tôt. Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Söylemez ont été tuées le soir du 9 janvier au local parisien d'une association proche du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan qui mène la guérilla contre l'armée turque, dans ce qui semble une exécution de sang-froid.

Sakine Cansiz était une dirigeante historique de cette organisation nationaliste, une des cinq personnes restantes parmi les 111 qui ont participé à sa fondation en 1978. Arrêtée après le coup d'État de septembre 1980, elle était particulièrement respectée, connue notamment pour sa résistance à la torture au cours de ses dix années d'incarcération, pour son féminisme et son militantisme ensuite parmi l'immigration kurde en Europe et notamment parmi les femmes. Elle était donc sans doute la principale visée, même si Fidan et Leyla, les deux autres victimes, étaient elles aussi bien connues comme militantes nationalistes kurdes.

L'indignation après la mort des trois femmes a été ressentie au-delà du milieu des militants et sympathisants du PKK. Pour beaucoup de Kurdes et de Turcs d'Europe, le responsable est tout désigné : c'est encore une fois l'État turc avec sa police et ses services secrets, longtemps coutumiers de ce type d'assassinat politique dont on ne retrouve jamais les auteurs, que l'acte ait été commis en Turquie ou dans un quelconque autre pays.

Cependant le gouvernement turc d'Erdogan et la plus grande partie de la presse turque ont rapidement fourni l'explication pour eux la plus commode : l'assassinat n'aurait été rien d'autre qu'un règlement de comptes au sein du PKK, entre partisans et adversaires d'une négociation avec l'État. En effet, il y a quelques jours, le gouvernement turc a ouvert des discussions avec le chef du PKK, Abdullah Öcalan, dit Apo, incarcéré dans la prison d'Imrali en mer de Marmara. Le chef des services secrets turcs est venu en personne discuter avec lui des conditions auxquelles il pourrait déposer les armes.

Il est vrai que le PKK est connu pour ses méthodes violentes, qui sont celles d'une organisation nationaliste et stalinienne. Il est vrai aussi que dans le passé les comptes se sont déjà réglés par les armes entre ses différentes fractions. Mais, dans le contexte actuel, l'explication fournie par le gouvernement turc est peu plausible, rien n'indiquant au sein du PKK une fracture telle qu'elle ait pu conduire à ce triple assassinat.

D'autre part, le fait que le gouvernement turc puisse faire assassiner une dirigeante historique du PKK en Europe, au moment même où il engage une négociation avec celui-ci, peut n'être contradictoire qu'en apparence, et même faire partie de sa façon de « négocier ». Enfin, l'État turc est connu pour l'existence en son sein de ce que l'on nomme « l'État profond », formé des services secrets, de cadres de la police et de l'armée liés à l'extrême droite, de politiciens comploteurs manipulés par le gouvernement ou au contraire agissant pour leur propre compte, indépendamment de lui et cherchant même à le mettre en difficulté. Il est vrai que ces derniers temps le gouvernement Erdogan a démantelé quelques-uns de ces réseaux auteurs d'assassinats, mais d'autres peuvent être toujours actifs et avoir procédé à l'assassinat des trois militantes pour le mettre en difficulté dans la négociation.

On comprend donc l'indignation et la réaction d'une grande partie des militants turcs et kurdes, qui ont vu trop souvent l'État turc ou ses services agir de cette façon pour ne pas lui attribuer encore cette fois la responsabilité. Mais quant à ce qui s'est passé vraiment, on ne le saura sans doute jamais. Même si la police aurait sans doute les moyens d'identifier les assassins, les autorités françaises pourraient ne pas souhaiter créer des difficultés aux services d'un autre État dont elles peuvent toujours avoir besoin à leur tour -- si même elles n'en sont pas les complices.

En tout cas on ne peut que partager l'indignation et l'exigence des Kurdes et des Turcs de France et d'Europe pour que toute la lumière soit faite sur l'assassinat de Sakine, Fidan et Leyla et sur ses responsables.

Partager