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Dans le monde
Russie : L'Église orthodoxe et son ange gardien du Kremlin
Une cathédrale russe verra-t-elle le jour au pied de la tour Eiffel ? La mairie PS de Paris ne semble guère emballée. L'Élysée est plus gêné. Le projet, approuvé par Sarkozy, aurait-il été « vendu » au Kremlin en échange de contrats pour de grands groupes français opérant en Russie ? Poutine, lui, en fait son affaire et le fait savoir, une attitude qui cadre bien avec la protection vigilante que les autorités accordent à l'Église orthodoxe en Russie.
Avec la disparition de l'URSS, les dirigeants de la bureaucratie, la veille encore membres du parti dit communiste et professant l'athéisme, se sont précipités dans les églises. Ils espéraient qu'une bigoterie ostentatoire leur donne un bonus de spiritualité aux yeux du bon peuple, quand, comme leurs pareils, ces privilégiés se ruaient sur la propriété d'État pour s'emplir les poches.
Les religieux ne furent pas en reste. Le pouvoir leur avait octroyé le monopole sur les cigarettes d'importation et la répartition des milliards de l'aide internationale. Les dirigeants centraux et locaux leur donnèrent aussi des terrains, où l'Église a fait bâtir de l'immobilier de rapport.
Alors que la population s'enfonçait dans le dénuement, l'or et l'argent brillaient sur les coupoles des églises que l'on se mit à construire ou à restaurer en masse. Il n'y avait pas un sou pour les salaires, les retraites, la santé, l'école, mais rien n'était trop beau pour afficher la puissance que le pouvoir accordait à l'Église.
Cette frénésie de construction repose pour 80 % sur des fonds publics. Quant au reste, les dons des affairistes dominent. Ces gangsters s'achètent-ils des « indulgences » ? Ou remercient-ils le ciel de pouvoir tant voler ici-bas ? En tout cas, on ne la leur fait pas : ils préfèrent livrer directement des matériaux pour construire des églises plutôt que de verser de l'argent qui risquerait de disparaître dans les profondeurs des soutanes.
Comme l'État soutient l'Église et ses agissements, le clergé a un sentiment de totale impunité. Récemment, un proche du patriarche Alexis a causé un accident au volant d'une BMW qui arborait la plaque diplomatique d'un paradis fiscal. La police l'a relâché. Juste avant le procès des Pussy Riot, ces chanteuses poursuivies pour « incitation à la haine religieuse » par le Kremlin, le patriarche a défrayé la chronique des scandales en tant que propriétaire d'un appartement dans un immeuble de grand luxe où il fait la loi. Ces jours-ci, cela a été le tour de l'abbé du plus vieux monastère moscovite, un proche de Poutine : on a découvert un bordel dans ses locaux !
Le tout est sans suite judiciaire. Et l'Église le rend bien au pouvoir : le patriarche a appelé à voter pour Poutine aux élections et il bénit ses faits et gestes.
Dans ces conditions, l'Église n'en finit plus de tout vouloir régenter, de l'avortement à une tenue « décente » pour les femmes. Maintenant, elle veut soumettre les oeuvres de Lénine à une commission de lutte contre l'extrémisme : une accusation qui, dans le Code pénal russe, vaut la prison à qui défend de telles idées. Et des organisateurs d'expositions artistiques -- on n'est jamais trop prudent -- se sont empressés d'en retirer des oeuvres que des orthodoxes avaient cataloguées « antireligieuses ».
Si 70 % des Russes se disent orthodoxes, seuls 4 à 5 % pratiquent la religion, guère plus que du temps de l'URSS. La différence est que le régime a besoin d'une solide police des esprits pour épauler celle qui matraque les crânes des manifestants qui le contestent.