Il y a 40 ans, octobre 1972 : Le procès de Bobigny, un combat des femmes pour le droit à l'avortement17/10/20122012Journal/medias/journalnumero/images/2012/10/une2307.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Divers

Il y a 40 ans, octobre 1972 : Le procès de Bobigny, un combat des femmes pour le droit à l'avortement

Le 11 octobre 1972, Marie-Claire, 17 ans, comparaissait à huis clos devant le tribunal pour enfants de Bobigny. Son délit ? Elle avait avorté. Dehors, à l'extérieur du tribunal, une foule scandait « Nous avons toutes avorté », « L'Angleterre pour les riches, la prison pour les pauvres », « Libérez Marie-Claire ! ».

En France en effet, jusqu'à il y a quarante ans, les femmes n'avaient pas le droit d'interrompre une grossesse non désirée. L'avortement tombait encore sous le coup de la loi de 1920, qui exposait à des peines de prison et des amendes celle qui avortait, de même que celui ou celle qui l'avait aidée. Même la publicité pour les moyens anticonceptionnels était interdite. Seul le préservatif échappait à l'illégalité, car il était considéré comme un moyen... de prévention contre les infections sexuellement transmissibles !

L'hypocrisie la plus complète régnait, des centaines de milliers de femmes avortant dans la clandestinité et tout le monde le sachant. Mais en avril 1971, plus d'un an avant le procès de Bobigny, le Nouvel Observateur avait publié un manifeste signé par 343 femmes et déclarant : « Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l'une d'elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l'avortement libre. » Beaucoup parmi les 343 signataires étaient des personnalités connues, comme Ariane Mnouchkine, Catherine Deneuve, Françoise Sagan, Marguerite Duras, Simone de Beauvoir, Gisèle Halimi...

Les faits

Quant à Marie-Claire, alors âgée de 17 ans et élève dans un collège d'enseignement technique, elle avait été violée par un garçon de sa bande de copains. Enceinte, elle ne voulait absolument pas mettre au monde un enfant. Après en avoir parlé à sa mère, ensemble elles avaient cherché une solution. Le gynécologue consulté pour confirmer la grossesse avait accepté le principe d'avorter la jeune femme mais... contre 4 500 francs, soit trois fois le salaire de la mère de Marie-Claire qui élevait, seule, trois enfants. Pas question donc de songer à cette solution. Au métro, où elle travaillait, la mère de Marie-Claire en parla à une de ses camarades de travail, qui en parla à une autre qui, elle, connaissait « une adresse ».

À l'époque en effet, toutes les femmes étaient bien obligées de se débrouiller pour trouver « une adresse », autrement dit l'adresse d'un médecin ou d'une clinique en France, ou à l'étranger quand on avait des relations et les finances allant souvent avec, ou sinon l'adresse d'une femme ou d'un homme, appartenant ou non au milieu médical, mais qui saurait poser la sonde qui décrocherait l'embryon.

Marie-Claire et les femmes qui l'entouraient trouvèrent donc celle qui accepta de pratiquer l'avortement, pour 1 200 francs. La première sonde posée fut sans effet puis, une semaine plus tard, la deuxième sonde le fut elle aussi. Mais avec la troisième ce fut l'hémorragie, au point qu'il fallut transporter la jeune femme dans une clinique où, avant toute chose, avant que le curetage soit pratiqué, il fallut que sa mère dépose un chèque de 1 200 francs, qui en fait n'avait pas la moindre provision.

Si, trois jours plus tard, Marie-Claire sortit saine et sauve de la clinique, ce n'était pas le cas de toutes les femmes. Sur les centaines de milliers qui avortaient chaque année, certaines y laissaient leur peau, parce que, faute de moyens, leur avortement -- un acte médical pourtant relativement simple -- avait été pratiqué dans de mauvaises conditions sanitaires.

Ce n'était pas encore fini pour Marie-Claire. Peu de temps après sa sortie, elle fut dénoncée par celui même qui l'avait violée et à qui elle avait raconté la clinique et l'avortement. La police débarqua chez elle et elle fut inculpée pour avoir avorté, sa mère et ses amies pour complicité, et la femme ayant posé la sonde pour avoir pratiqué un avortement. Puis vinrent les procès, le 11 octobre devant le tribunal pour enfants, car Marie-Claire était mineure, et trois semaines plus tard en correctionnelle pour les autres femmes.

Le procès... de la loi de 1920

Avant le procès, des manifestations furent organisées et des dizaines de milliers de tracts distribués sur les marchés, aux bouches de métro, dans les grands magasins, les lycées, donnant rendez-vous devant le tribunal pour affirmer la solidarité avec Marie-Claire et aussi pour exiger le droit à la contraception et à l'éducation sexuelle, la défense gratuite de toutes les femmes inculpées d'avortement et la suppression des textes répressifs en la matière.

Défendue par Gisèle Halimi, avocate et aussi fondatrice de Choisir la cause des femmes, Marie-Claire fut relaxée. Ce fut une victoire, pas seulement pour elle mais aussi pour toutes les femmes. Trois semaines plus tard eut lieu le procès de la mère, de ses « complices » et de la femme ayant pratiqué l'avortement. Toutes avaient décidé de faire du procès un combat pour la cause des femmes, elles revendiquèrent leur culpabilité, reconnurent les faits, expliquèrent qu'ils étaient l'expression d'une liberté nécessaire. Ce fut ainsi le procès de la loi de 1920.

La mère de Marie-Claire fut condamnée à 500 francs d'amende avec sursis. Elle fit appel de ce jugement, mais aucune date ne fut jamais fixée pour l'audience de la cour d'appel, entraînant la prescription. Les « complices » furent relaxées. La femme ayant procédé à l'avortement fut condamnée à un an de prison avec sursis. La loi de 1920 volait ainsi en éclats, les tribunaux eux-mêmes reconnaissant qu'elle était inapplicable.

En février 1973, 331 médecins lançaient un manifeste dans lequel ils déclaraient « pratiquer des avortements ou aider, selon leurs moyens, à ce qu'ils soient réalisés en dehors de tout trafic financier ». Deux mois après naissait le MLAC, le Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception. Pendant deux ans, le MLAC organisa publiquement des départs collectifs vers l'Angleterre et les Pays-Bas, où des dizaines de milliers de femmes purent aller avorter, et assura la pratique illégale d'avortements.

C'est finalement en 1975 que la loi accorda aux femmes le droit de mettre fin à une grossesse non désirée, le droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Il faut reconnaître à Simone Veil, alors ministre de la Santé d'un gouvernement de droite et auteure de cette loi qui porte son nom, le fait d'avoir eu le courage d'affronter à l'Assemblée nationale un torrent d'obscénités réactionnaires prononcées contre la liberté des femmes par des hommes de son propre camp politique. La loi n'en fut pas moins adoptée, grâce au renfort des voix de gauche. Mais n'oublions pas que c'est surtout la lutte des femmes et leur courage qui imposèrent leur droit élémentaire de choisir de donner -- ou pas -- la vie.

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