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Editorial
Les affameurs
Alors que l'actualité la plus chaude est la canicule et que l'on nous dit en long, en large et en travers comment se protéger et s'hydrater, une information autrement lourde de conséquences est passée inaperçue : la flambée du prix des céréales.
Depuis le mois de juillet, le cours mondial des céréales s'est envolé. Sur deux mois, le maïs a augmenté de 50 %, entraînant dans son sillage le prix du blé, du soja et bientôt de la viande, puisqu'aux États-Unis des élevages entiers sont abattus faute de pouvoir nourrir les bêtes. C'est donc à une hausse de toute la chaîne alimentaire qu'il faut s'attendre et à de nouvelles privations pour les classes populaires.
Même ici, en France, dans un pays dit « riche », combien de familles frappées par le chômage, par des salaires et des retraites de misère, ont du mal à faire face à l'envolée du ticket de caisse ? Combien de ménagères renoncent à l'achat de fruits, de légumes frais ou de viande ? À voir le succès des Restos du coeur et des épiceries sociales, les produits alimentaires de base ont dépassé les limites acceptables pour beaucoup.
Mais si cette hausse des prix dans l'alimentation n'est pas encore, ici, une question de vie ou de mort, ça l'est et ça le sera dans certains pays pauvres pour des millions de personnes. En 2007-2008, l'explosion des prix des céréales avait provoqué une des plus grandes crises alimentaires. Des émeutes de la faim avaient alors secoué une grande partie des pays pauvres, de Dakar à Mexico en passant par Le Caire. Aujourd'hui ces prix se rapprochent des records de 2008. Une telle hausse, si elle se maintient, est la famine assurée pour des millions de personnes qui se battent déjà pour survivre au jour le jour. Pour beaucoup d'entre eux, c'est une condamnation à mort.
« En temps normal » comme l'on dit, quand il n'y a pas de crise alimentaire, 37 000 personnes meurent de faim chaque jour, un enfant meurt de faim toutes les cinq secondes.
Comment accepter ce drame humain, alors que l'agriculture moderne peut nourrir deux fois la population de la planète ? Comment accepter que les premiers affamés soient des paysans, tout à fait capables de cultiver la terre pour se nourrir, eux et leur famille, mais qui ne le peuvent plus parce qu'ils ont été ruinés et chassés de leur terre par les requins de l'agroalimentaire ?
Certes, une des pires sécheresses sévit actuellement dans les principaux États américains producteurs de maïs et de soja, et la météo fait craindre une chute de rendement en Russie et en Ukraine. Mais dans une organisation sociale normalement constituée, où la vie humaine compterait, on chercherait à faire face à ces catastrophes climatiques en mettant en commun ce que l'on a, en répartissant les stocks, en organisant la distribution rationnellement, en anticipant.
C'est l'inverse qui se passe ! Dans ce système capitaliste, affamer des millions d'êtres humains peut rapporter gros. La sécheresse fait et fera le malheur de millions de personnes mais elle fait le bonheur des spéculateurs. Les récoltes seront moindres ? Bonne nouvelle pour les spéculateurs qui vont pouvoir parier à la hausse ! Les stocks de céréales diminuent ? C'est l'occasion pour les spéculateurs de les racheter et de faire monter les enchères.
C'est même une occasion en or puisque, si l'on en croit une étude de la Deutsche Bank, le maïs a offert, à égalité avec l'or, le meilleur rendement des actifs financiers sur ces cinq dernières années. Quoi d'étonnant à ce qu'aujourd'hui 85 % des achats de céréales soient des achats spéculatifs !
Les financiers qui ne trouvent plus leur compte en spéculant sur l'immobilier, sur les valeurs d'Internet ou sur les actions se sont jetés sur le marché des matières premières. Le maïs, le blé et le soja sont pour eux des « actifs financiers » comme les autres, sur lesquels ils misent sans retenue, quand bien même ils affament les millions de personnes pour qui c'est le pain quotidien.
Le capitalisme transforme tout en actif financier, en spéculation, en profit. Face à ce fonctionnement aveugle de l'économie, la vie humaine ne vaut rien. Remettre les hommes, leur vie, le progrès social au coeur de la société, c'est se débarrasser du capitalisme et refonder une économie organisée collectivement, non pas pour rapporter du profit à une minorité toujours plus riche mais pour répondre aux besoins et aux aspirations de tous.
Éditorial des bulletins d'entreprises du lundi 20 août