- Accueil
- Lutte ouvrière n°2291
- Paraguay : Paysans massacrés et président destitué
Dans le monde
Paraguay : Paysans massacrés et président destitué
Si elle s'était contentée de faire massacrer des paysans occupant illégalement quelques hectares de ses immenses propriétés, l'oligarchie paraguayenne aurait seulement encouru les sempiternelles critiques d'accaparement des terres et de cruauté auxquelles elle est habituée. Mais en destituant à la va-vite l'actuel président de la République, elle a provoqué les réactions de nombreux gouvernements, entre autres de ses voisins du Brésil, d'Argentine et de Bolivie, qui ont dénoncé un coup d'État.
C'est un massacre de paysans qui a servi d'occasion et de prétexte pour destituer le président Fernando Lugo. Le Parlement a en effet voté sa destitution vendredi 22 juin, non pas parce qu'il a laissé la police et l'armée faire onze morts parmi les sans-terre, mais parce qu'il aurait « mal rempli ses fonctions » et « favorisé une confrontation constante et la lutte des classes, avec comme résultat final le massacre de compatriotes ».
Le Paraguay est un pays pauvre, où la terre est la principale richesse. Or 1 % des propriétaires y accaparent 80 % des terres, notamment les régions fertiles consacrées à la canne à sucre et au soja et les zones d'élevage intensif. Les nombreux conflits pour la terre ont été durement réprimés pendant tout le vingtième siècle, sous les gouvernements conservateurs du Parti colorado, en particulier durant la dictature du général Stroessner (1954-1989).
Le président Lugo, ex-« évêque des pauvres » à la réputation de progressiste, s'est fait élire en 2008 en promettant de lutter contre la corruption et de redistribuer les terres. Il n'a fait ni l'un ni l'autre, ce qui lui a fait perdre l'appui dont il bénéficiait parmi les organisations paysannes et a relancé les occupations de terres. Alors, comme ses prédécesseurs au gouvernement, il a ordonné des expulsions.
À Curuguaty, à 250 kilomètres de la capitale Asuncion, la propriété partiellement occupée par 150 familles paysannes appartenait à un ex-sénateur du Parti colorado. Les paysans, qui accusaient le propriétaire de s'être emparé illégalement des terres pendant la dictature, s'étaient préparés à l'attaque de la police. Ils ont eu onze morts et plus de cent blessés, mais ils ont fait six morts parmi les 300 policiers qui les ont attaqués, appuyés par des hélicoptères.
La démagogie de Lugo a suffi à le faire élire, mais n'a pas suffi à tromper la soif de terres des paysans pauvres. C'est certainement cette incapacité à calmer leur colère qui a été la cause de sa destitution par les représentants des grands propriétaires.