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Pologne-Ukraine : Euro de foot et « valeurs européennes »
Bien avant le coup d'envoi de l'Euro de football, qu'organisent la Pologne et l'Ukraine, les paris étaient ouverts. Sur le futur vainqueur ? Sans doute. Mais aussi, chose inhabituelle, sur quels dirigeants européens assisteraient aux matchs en Ukraine. Finalement, des pays comme la France ont fait savoir qu'ils n'y seraient pas officiellement représentés. Ils invoquent le sort de l'ex-Première ministre, Ioulia Timochenko, condamnée à sept ans de prison après sa défaite à la présidentielle de 2010.
Que son vainqueur, Viktor Ianoukovitch, règle ses comptes est l'évidence même. Il avait une revanche à prendre sur celle qui, en 2004, l'avait empêché d'accéder à la présidence. Alors Premier ministre, il avait si massivement fraudé à la présidentielle qu'une partie de la population était descendue dans la rue. Cette « Révolution orange », avec Timochenko comme égérie, l'avait forcé à s'avouer vaincu. Mais les scandales affairistes entourant le pouvoir « orange » sur fond de crise mondiale avaient vite écoeuré la population.
D'où le retournement électoral de 2010, et ses suites judiciaires pour Timochenko. Car, en Ukraine comme dans nombre d'États de l'ex-URSS, la justice n'est qu'un jouet docile du régime. Et qui y perd les élections peut perdre aussi la liberté.
Timochenko, qui avait déjà goûté des geôles ukrainiennes en 2001 pour cause de disgrâce au sommet, sait que c'est la rançon des rivalités incessantes entre clans mafieux de la bureaucratie dirigeante.
Ainsi, Ianoukovitch, ancien petit voyou de l'époque soviétique et poulain de l'ex-président Koutchma, est lié au clan du milliardaire Rinat Akhmetov, qui a fait main basse sur une partie de l'industrie du pays grâce à des protections en haut lieu. Timochenko, elle, était devenue en 1979 la belle-fille du chef du parti de Dniepropetrovsk, capitale de l'industrie lourde du pays. Ayant les protections voulues pour se lancer dans les affaires à la fin de l'URSS, elle se spécialisa dans ce qui rapportait le plus, pourvu qu'on ait un appui au coeur du pouvoir : le contrôle de sociétés acheminant le gaz russe à l'Ouest. Elle avait alors pour « parrain » un Premier ministre, Lazarenko, qui purge maintenant une peine de prison aux USA pour fraude, corruption et blanchiment d'argent.
De cette époque de mise en pièces de l'économie de l'URSS par les bureaucrates mafieux datent la fortune de Timochenko et son surnom, lui pas volé, de « princesse du gaz ».
Mais voilà, la roue de la fortune a tourné. Et maintenant les dirigeants du clan adverse ressortent de vilaines affaires de gros sous dans lesquelles la dame a trempé lors de son dernier passage à la direction du pays.
Ces dernières années, elle a affiché des positions pro-occidentales face à ses adversaires catalogués pro-russes. Cela explique qu'une bonne partie de la presse d'ici la présente en victime de « pratiques politico-judiciaires soviétiques ». Encore que, détail piquant, l'affaire qui lui vaut ses actuels déboires l'ait vue signer avec Poutine un accord gazier désavantageux pour l'Ukraine, mais sans doute pas pour elle.
En fait, alors que l'Ukraine doit faire appel à des crédits internationaux importants et se montre ouverte à l'Occident comme jamais, la seule question que se posent les Hollande, Merkel et consorts est la suivante : lequel, des clans Ianoukovitch et Timochenko, a le plus de chances de s'imposer au pouvoir à Kiev ? Bref, qui de la princesse-affairiste ou du malfrat-président sera en position de signer de gros contrats pour les firmes françaises, allemandes ou autres ?
Comme les dirigeants des démocraties occidentales ne peuvent pas le dire aussi crûment, ils appellent cela « défendre des valeurs européennes ».