Le numéro du 26 janvier de La Voix des Travailleurs, mensuel trotskyste édité en Haïti par l'Organisation des travailleurs révolutionnaires (OTR), consacre un article au retour en Haïti, après vingt-cinq ans d'exil en France, de Jean-Claude Duvalier, qui fit régner dans le pays de 1971 à 1986 une dictature féroce, et fut chassé à la suite d'un soulèvement populaire. Nous en publions des extraits.

Duvalier est-il revenu au pays, comme l'expliquent certains, pour débloquer les millions de dollars volés au pays que la Suisse avait mis sous séquestre ? Est-il revenu dans le cadre d'une opération politique ? Les deux explications ne s'excluent pas. L'ex-dictateur peut vouloir joindre l'utile à l'agréable. Son retour étant cependant en lui-même un fait politique, il serait puéril de nier l'opération manifestement préparée et planifiée. (...) Duvalier, son nom, son passé, représentent un drapeau qui peut être agité par bien d'autres. Son retour signifie la volonté de l'extrême droite réactionnaire de ce pays de retrouver, au minimum, une place dans le jeu politique et, si les circonstances le permettent, de reprendre le pouvoir perdu il y a vingt-cinq ans.

Le clan duvaliériste a bien des raisons de penser que l'heure est venue. Un État décomposé. Un régime déconsidéré. Une clique dirigeante d'une nullité sidérale en train de se ridiculiser dans une crise électorale dont elle ne parvient pas à se dépêtrer. Un président dépassé qui a perdu tout crédit, non pas seulement aux yeux de l'électorat populaire - cela, il l'a perdu depuis longtemps, si tant est qu'il l'ait jamais eu - mais même auprès des puissances tutélaires. (...) Voilà le contexte choisi par le clan Duvalier pour faire revenir l'ex-dictateur au pays.

Les cercles dirigeants français et états-uniens ont été au courant au moins du voyage, sinon du plan détaillé de l'opération. (...) Il faut croire que Duvalier avait, sinon la bénédiction des grandes puissances, du moins leur consentement tacite. Après tout, de leur point de vue, Duvalier n'est pas un mauvais cheval. Pourquoi ne pas lui laisser la possibilité de montrer ce qu'il sait faire et, surtout, quelle force il a derrière lui. S'il échoue, les puissances tutélaires s'en laveront d'autant plus facilement les mains qu'elles pourront prétendre avoir été mises devant le fait accompli par surprise. Pour le moment, elles peuvent se dire que l'opération Duvalier marche, vu non seulement le soutien que l'ex-dictateur a trouvé dans son camp naturel, mais la rapidité avec laquelle il a trouvé des soutiens en dehors de son camp historique. (...)

Du point de vue des classes pauvres, le retour de Duvalier est à la fois le symbole du recul incessant de leur situation depuis les espoirs de février 1986, l'expression d'une politique de plus en plus réactionnaire, mais aussi un facteur d'aggravation. Les gouvernements précédents, ceux d'Aristide comme les autres, ont tous été des ennemis des exploités. Mais Duvalier représente la pire forme d'oppression où, à la dictature de la misère, s'ajoute la violence permanente, omniprésente, arbitraire, des hommes de main du pouvoir. L'absence des libertés les plus élémentaires, le mouchardage érigé en système rendraient infiniment plus difficile la possibilité pour les travailleurs de s'organiser même simplement pour se défendre. (...)

Parmi ceux qui sont venus acclamer Duvalier à l'aéroport puis devant le Palais de justice, il n'y avait pas que des ex-macoutes vieillissants rêvant du « bon vieux temps » où ils pouvaient assassiner, tabasser, torturer, violer, piller impunément. Il y avait aussi des plus jeunes, l'acclamant comme un sauveur. (...)

Mais si tout ce monde peut aujourd'hui regretter avec arrogance le temps où les Duvalier, père et fils, faisaient régner la paix des cimetières au lieu de la bamboche si peu démocratique qui s'ensuivit, c'est que ceux qui ont disputé le pouvoir aux militaires après le renversement de la dictature par la jeunesse révoltée, tous les politiciens dits démocrates, (...) avec pour finir l'ex-prêtre populiste qui se posait en ami des pauvres avant de se poser en dictateur, ont tous trahi les uns après les autres les espoirs illusoires que les masses ont pu placer en eux. (...)

Aucun des hommes politiques qui se chamaillaient autour de la mangeoire n'a voulu même seulement écorner la richesse de la classe exploiteuse et, à plus forte raison, limiter son avidité et son parasitisme. (...) Or les dictatures, celle des Duvalier comme celle de leurs pareils, poussent toutes sur le socle des inégalités sociales criantes, de l'exploitation, du pillage de ce pays par quelques dizaines de grands parasites. Tant que ces inégalités demeurent et s'aggravent, aggravant la misère des classes exploitées, il ne pourra y avoir en Haïti même un simple régime démocratique bourgeois assurant un minimum de liberté.