- Accueil
- Lutte ouvrière n°2215
- Algérie : L'explosion de colère
Dans le monde
Algérie : L'explosion de colère
Mercredi 5 janvier, c'est un véritable soulèvement populaire qui a éclaté dans le quartier de Bab-El-Oued à Alger. Provoquées par des rumeurs sur la démolition de bidonvilles ou sur de possibles descentes de la police visant à déloger les vendeurs à la sauvette, les manifestations se sont rapidement étendues au reste du pays et ont dénoncé l'augmentation brutale des prix des produits de première nécessité. Le bilan provisoire était de trois morts et 800 blessés, tandis que plus de 1 000 personnes ont été arrêtées.
Encore une fois, ce qui s'est exprimé est le désespoir et la colère d'une jeunesse écrasée par le chômage, la pauvreté et l'absence totale de perspectives. Des commerces ont été dévalisés, des édifices publics saccagés, des commissariats attaqués ; des barricades ont été dressées et des routes coupées. « Ils ont augmenté l'huile et le sucre, le peuple est décidé à en découdre », pouvait-on entendre. L'embrasement s'est rapidement propagé, touchant, après Alger, de nombreuses villes comme Oran, Tipaza, Bouira, Blida, Boumerdès, Sétif, Constantine, Skkida, Batna, Annaba.
Officiellement, le chômage toucherait en Algérie 10 % de la population active. En fait, il touche 60 % de la population active de moins de 30 ans. Le salaire national minimum garanti se chiffre à environ 15 000 dinars (150 euros), ce qui ne couvre que 26 % des besoins minimums des ménages. Mais alors que, ces dernières années, la pauvreté, la misère, la mendicité voire la clochardisation n'ont cessé de progresser, une minorité de privilégiés s'est scandaleusement enrichie. Les plus hauts cadres de l'État, qui disposent des revenus du pétrole et du gaz naturel, mènent grand train de vie. Les scandales de corruption font régulièrement la une des journaux, si bien que dans la population le sentiment d'injustice est particulièrement vif, d'autant plus vif que les responsables sont rarement inquiétés et que le gouvernement se vante par ailleurs de disposer de 150 milliards de dollars de réserves.
INFLATION, « COMMERCE INFORMEL » ET SPECULATION
L'augmentation des prix des produits courants a été importante et soudaine. Les cinq litres d'huile sont passés de près de 700 dinars à 900 dinars, les tomates de 50 à 120 dinars, idem pour les courgettes ou les navets qui se vendent à 140 dinars, un kilo de sucre est vendu 150 dinars... Jusqu'à présent les grossistes effectuaient la plupart de leurs opérations commerciales en liquide, ce qui leur permettait de ne pas laisser de traces et donc d'échapper au fisc. Mais pour compenser l'obligation qui leur sera faite, à partir du 31 mars 2011, de procéder au paiement par chèque pour tout montant supérieur à 500 000 dinars, ils ont augmenté par anticipation leurs marges bénéficiaires, ce qui a provoqué une forte hausse des prix. Ainsi, entre les magouilles des grossistes, la corruption, les spéculateurs nationaux qui stockent les marchandises pour faire monter les prix, la spéculation internationale sur les matières premières agricoles, la population algérienne est condamnée à payer toujours plus cher les produits de première nécessité.
Face à la révolte, le pouvoir a fait mine de reculer en gelant l'application du décret de mars et en annonçant une baisse des prix. S'il desserre ainsi l'étreinte qu'il disait vouloir imposer au « commerce informel » de gros, le gouvernement continue en revanche à faire la chasse aux petits « trabendistes », ces jeunes qui n'ont d'autre possibilité de survie que celle offerte par le petit commerce ambulant. Selon un témoignage, lundi 10 janvier à Bachdjerrah, dans la banlieue d'Alger, les policiers ont lynché un jeune vendeur dont le seul tort était de venir en aide à sa famille en vendant quelques articles dans la rue. Le commerce informel interdit, quel travail y a-t-il alors pour ne pas crever de faim ?
Face aux jeunes et aux travailleurs sans emploi, le pouvoir est resté quasiment muet, se contentant de vagues promesses de retour à la normale. Si aujourd'hui la situation semble s'être momentanément calmée, rien n'est évidemment réglé. Durant une semaine s'est exprimé un ras-le-bol généralisé, une révolte contre la mal-vie, contre la « Hogra » (l'injustice), et cette injustice découle de tout un système économique qui jette les masses populaires dans la pauvreté. Le pouvoir algérien en partage largement la responsabilité.