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- Lutte ouvrière n°2172
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À propos de la mort de Jean Ferrat : La censure en France
Les commentaires autour de la mort de Jean Ferrat ont rappelé l'existence en France d'une censure de fait s'exerçant sur les radios et la télévision publiques. Elle a été particulièrement virulente dans les années soixante, sous le régime gaulliste, mais elle s'est poursuivie au-delà.
Ainsi, cinq des chansons de Jean Ferrat ont été censurées, officiellement ou officieusement. En 1963, le directeur de l'ORTF « déconseilla » le passage sur les ondes de la chanson Nuit et Brouillard, titre repris du film d'Alain Resnais qui dénonçait les camps de concentration nazis et qui, parce qu'il montrait la responsabilité de l'appareil d'État français dans la déportation de millions de personnes, avait été retiré du Festival de Cannes en 1955.
En 1965, Potemkine, écrite à la gloire de la mutinerie des marins du cuirassé de la Mer Noire avant la révolution de 1905 en Russie, était interdite lors d'une émission à la télévision en direct : « Chantez autre chose », lui demanda-t-on alors. Ferrat refusa et il ne parut pas à l'émission. Puis en 1968, Ma France, chanson s'en prenant au gouvernement, fut à son tour interdite d'antenne, de même que, l'année suivante, Au printemps, de quoi rêvais-tu ?, inspirée de Mai 68.
Cette censure continua même après la démission de De Gaulle, puisqu'en 1975, la chanson sur la fin de la guerre du Vietnam, Sur un air de liberté, disparut lors de la diffusion d'une émission pré-enregistrée, suite à la demande de Jean d'Ormesson, directeur du Figaro.
Il ne fait aucun doute que les sympathies de Ferrat pour le Parti Communiste ont contribué à faire censurer des chansons jugées trop sensibles, comme Nuit et Brouillard, trop critiques vis-à-vis du pouvoir ou trop favorables aux mouvements de révolte des peuples. D'autres que lui firent aussi les frais de leurs opinions politiques. En 1962, le magazine Faire face fut retiré des programmes de l'ORTF, suite à la diffusion d'une émission sur le communisme. En 1964, l'émission La caméra explore le temps fut supprimée par ordre ministériel, pour cause de non-compatibilité politique entre le pouvoir et le réalisateur communiste Stello Lorenzi, après qu'un épisode consacré à l'affaire Cicéron eut été censuré car jugé trop critique envers la résistance française. L'année suivante, plusieurs séquences de Cinq colonnes à la Une furent aussi censurées, dont un reportage sur les cinq semaines de grève aux Chantiers de Saint-Nazaire en 1957.
Jean Ferrat ne fut pas non plus le seul chanteur à avoir été victime de la censure, puisque Boris Vian (avec Le Déserteur), Georges Brassens (dont Le Gorille), Mouloudji et Léo Ferré l'avaient subie avant lui, dans les années cinquante. Ferré sortit d'ailleurs un disque intitulé Chansons interdites, c'est-à-dire interdites à la radio, le principal mode de diffusion de l'époque. Ils avaient eu pour seul tort de contester (en chansons !) l'ordre établi.