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- Lutte ouvrière n°2154
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Allemagne de l'Est, 16 et 17 juin 1953 : La révolte ouvrière
La commémoration de la chute du mur a été l'occasion pour les médias d'exalter le rôle de l'Église dans les manifestations contre le régime de 1989. Mais bien peu ont rappelé que les premiers qui se dressèrent contre la politique menée par les proconsuls allemands du gouvernement soviétique furent les ouvriers.
« Les manifestations de Berlin-Est ont pris ce matin les proportions d'une émeute, sinon d'une révolution », écrivait Le Monde du 17 juin 1953. En effet, depuis la veille, les ouvriers de Berlin-Est étaient en révolte ouverte contre le régime. Des milliers de travailleurs, des maçons venus des chantiers de la Stalinallee, cette grande artère alors en construction, mais aussi des ouvriers et employés des usines ou des transports, étaient en grève. Ensemble, ils convergèrent vers le siège du gouvernement en scandant : « Abaissement des normes », « Abaissement des prix dans les magasins d'État », « Démission du gouvernement », « Élections libres et secrètes » ou « Pas de sanction pour fait de grève ».
La grève ne se limita pas à Berlin-Est. Elle gagna les grandes villes ouvrières d'Allemagne de l'Est : Magdebourg, Leipzig, Dresde, etc. Partout, la grève s'accompagnait de manifestations et d'assauts des bâtiments officiels. Pour la première fois, dans un pays qui prétendait gouverner au nom des travailleurs, des ouvriers s'insurgeaient.
En Allemagne de l'Est, depuis la fin de 1952, le slogan était : « Grâce à une productivité accrue, vers une vie meilleure ! » À la mi-avril 1953, le gouvernement chercha à relever encore les normes de production. Mais, des grèves ayant éclaté à Chemnitz et Magdebourg, il recula.
Le 28 mai, le Conseil des ministres adoptait une proposition du SED, le Parti Communiste d'Allemagne de l'Est : relever toutes les normes de travail de 10 %. Cela signifiait soit une augmentation très dure des cadences soit une perte importante de salaire.
La colère ouvrière s'étendit aux échelons inférieurs du Parti Communiste et même aux dirigeants des mouvements de jeunesse, qui soutinrent les ouvriers contre les chronométreurs.
Le 16 juin, la colère éclata « Devant le siège du gouvernement, raconte Benno Sarel dans son livre La classe ouvrière d'Allemagne orientale, les ouvriers « réclament de voir les dirigeants Grotewohl, Pieck et Ulbricht, le « GPU » comme ils disent ! Ceux-ci ne se montrent pas. Les revendications purement économiques (...) commencent alors à céder le pas devant les revendications politiques : « démission des dirigeants », « élections libres et secrètes » ! Et l'idée de la grève générale gagne du terrain. (...) Sous la pression des milliers de manifestants, le gouvernement a beau céder sur les normes, le mouvement, qui a désormais dépassé le cadre strict de cette revendication, s'élargit. Le lendemain, 17 juin, la grève générale est effective. Elle gagne tout Berlin et toute l'Allemagne orientale. »
Dans les usines, les travailleurs s'organisaient en comités de grève. Les portraits des dignitaires du régime et de Staline brûlèrent. La police n'osa pas intervenir. Le gouvernement était dépassé, mais la bureaucratie russe envoya son armée, bien décidée à lui faire jouer le rôle de gendarme d'un ordre qui, malgré ses proclamations officielles, était fondamentalement antiouvrier. Les tanks russes apparurent dans les grandes villes. Les policiers allemands reprirent courage et se déchaînèrent contre les ouvriers, que l'Humanité d'alors dénonça comme des « revanchards, provocateurs fascistes et autres réactionnaires à la solde des puissances étrangères et des monopoles capitalistes ouest-allemands », des épithètes insultantes qui devaient refleurir trois ans plus tard contre les ouvriers hongrois. Il y eut deux cents morts et des centaines de blessés.
L'appareil d'État est-allemand et l'armée de la bureaucratie russe venaient d'écraser la première révolte ouvrière dans les « Démocraties populaires », sous les yeux des puissances occidentales qui faisaient mine de s'émouvoir mais étaient au fond satisfaites de voir la classe ouvrière obligée de rentrer dans le rang.