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- Lutte ouvrière n°2135
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Italie - L'accident ferroviaire de Viareggio : L'enfer des privatisations
Les habitants de Viareggio se souviendront longtemps de la nuit du 29 au 30 juin. Ils s'en souviendront comme on se souvient des tremblements de terre ou, pour ceux qui ont vécu l'époque, des bombardements de la Seconde Guerre mondiale.
À 23 h 48 un des wagons d'un train de marchandises, traversant la gare à 90 km à l'heure soit dix de moins que ce qui est prévu, déraille. Les machinistes s'en aperçoivent et actionnent le frein d'urgence. Le train se coupe à la hauteur de la locomotive, qui poursuit sa route pendant quelques centaines de mètres. Le wagon s'incline et en entraîne quatre autres hors des rails. Il s'agit de wagons citernes transportant du gaz GPL. De l'un de ceux-ci le gaz comprimé s'échappe, devenant un monstrueux instrument de mort. Toute la zone voisine devient un enfer enflammé. Les habitations, les voitures, les passants, sont entourés par les flammes. L'incendie, visible de loin, s'élève à des centaines de mètres. Le bilan de la tragédie, deux jours après, est de 16 morts, 36 blessés dont 14 très graves. Parmi les morts on compte quatre enfants.
Quelle est la cause de ce désastre ? Le communiqué du groupe FS (Ferrovie dello Stato, qui coiffe les chemins de fer italiens - NdT) parle de la rupture d'un axe de roue du wagon sorti le premier des rails. Il précise aussi que le wagon en question n'est pas sa propriété, commençant ainsi le jeu du rejet des responsabilités qui continuera les jours suivants. Mais dans le communiqué de l'entreprise il y a déjà une partie de la réponse que les cheminots connaissent bien. La privatisation et l'éclatement du système ferroviaire, déjà très avancés, entraînent l'existence d'une multitude de centres de décision et d'intervention dont chacun répond à ses propres logiques d'entreprise, affaiblissant le caractère unitaire de l'organisation du transport sur rails. Dans chacun de ces centres, de différentes façons et à différents degrés, ce qui prime est la logique de l'économie des ressources utilisées, du profit maximum à atteindre, de l'obtention d'objectifs de productivité réels ou inventés. Ainsi, jour après jour, la grande machine du transport ferroviaire qui, au cours de décennies, avait développé sa propre cohérence technique, réussissant à harmoniser des activités très différentes entre elles, se transforme en un non-système anarchique dont le danger social commence tout juste à se manifester.
Dans ce processus de régression, la suppression d'emplois occupe un rôle central. Le désastre de Viareggio s'est produit au moment où le groupe FS, avec la complicité des syndicats « les plus représentatifs », cherche à introduire le système « à un seul agent » c'est-à-dire à un seul machiniste en cabine de conduite, sans personne à côté de lui, même pas le chef de train. Les conditions techniques pour justifier ce système de conduite des trains en toute sécurité sont absentes, comme l'ont fait justement remarquer les délégués de l'assemblée nationale des cheminots (constituée par des militants syndicaux cheminots - NdT). De même, les conditions pour porter de 6 à 8 le nombre de voitures qu'un seul chef de train peut accompagner dans le transport régional n'existent pas. Mais ces changements, qui exposent les cheminots et les voyageurs à de nouveaux risques, ont été signés par les trois syndicats CGIL-CISL-UIL en mai dernier, entre autres sans même un semblant de consultation et sous la pression disciplinaire de la hiérarchie de l'entreprise contre les machinistes et les chefs de train qui s'y opposent, soutenus par des syndicats autonomes et de base.
Quand Berlusconi est venu faire son show à Viareggio pour « prendre en main la situation », il a été sifflé par les habitants de la petite ville. Mais les cheminots au fond, y ajouteraient bien des sifflements à l'adresse du secrétaire de la CGIL Epifani, qui a parlé de « catastrophe annoncée » comme si les sommets de son syndicat et des autres n'avaient pas, et ne continuaient pas à avoir des responsabilités très lourdes dans la situation où se trouvent aujourd'hui les chemins de fer italiens.
Parmi ceux qui n'ont pas baissé la tête et n'attendent pas des tragédies comme celle de Viareggio pour lutter pour la sécurité du système ferroviaire, il faut rappeler le cas de Dante De Angelis, machiniste et représentant des travailleurs pour la sécurité (RLS) que la direction a voulu licencier justement pour son activité de dénonciation. Une dénonciation mille fois confirmée par les faits.
Ces faits ne sont pas une exagération propagandiste. Dans la seule région de Toscane, en quelques semaines, la rupture d'un axe de roues a été la cause de déraillements de trains de marchandises à Prato et à la gare de Pise - San Rossore, par chance sans conséquence sur les personnes. Par chance justement, mais la chance ne peut être le présupposé d'un système de transport ferroviaire.