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- Lutte ouvrière n°2122
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Editorial
Derrière les serviteurs grassement payés, il y a les vrais maîtres de l'économie
Le gouvernement a présenté ce lundi le décret encadrant les rémunérations des dirigeants d'entreprise. Oh, pour un PDG, il n'y a pas de quoi sauter par la fenêtre de son bureau, car ses revenus restent quand même très confortables ! De plus, le décret ne concerne que les entreprises ayant bénéficié d'une aide directe officielle de l'État et ne s'applique que jusqu'en 2010.
Mais, dans cette période de crise où se multiplient les licenciements, où un nombre croissant de travailleurs perdent leur emploi et leur salaire et se retrouvent avec de dérisoires allocations de chômage avant d'en être réduits au RMI, les sommes extravagantes versées aux PDG licencieurs et aux banquiers faillis en guise de bonus, de stock-options et autres parachutes dorés, sont ressenties comme une provocation.
C'est cette indignation que Sarkozy et ses ministres essaient de détourner et de canaliser, pour se faire passer pour des chevaliers blancs du combat contre les « excès » du patronat. Lesdits « excès » n'étant pas les licenciements, l'écrasement des salaires des travailleurs, mais les émoluments trop élevés des PDG et des hauts cadres. Depuis quelques semaines, Sarkozy se livre avec Parisot, la présidente du Medef, à un véritable numéro de duettistes sur l'air de « je t'aime, moi non plus », destiné à le faire passer lui, avec ses amitiés patronales affichées, pour un justicier capable de s'en prendre aux patrons.
Toute cette agitation est relayée par les médias. Elle l'est aussi, à sa façon, par l'opposition socialiste, qui se contente de discuter de l'étendue de l'encadrement des stock-options et autres bonus, ou de la durée de leur application. Mais ce n'est que de la poudre aux yeux.
La veille même de la présentation du décret gouvernemental, Streiff, futur ex-PDG du trust Peugeot-Citroën, a été démis de ses fonctions par le conseil de surveillance de la société, c'est-à-dire pour l'essentiel par la famille Peugeot. Cette décision, qui semble avoir surpris Streiff lui-même, montre qui sont les vrais maîtres de l'économie. Streiff et ses semblables ne sont que des serviteurs, grassement payés certes pour exécuter les basses oeuvres des actionnaires, mais quand même des serviteurs.
L'ex-PDG de Peugeot-Citroën ne sera pas pleuré par les milliers d'intérimaires dont il s'est débarrassé et qui se retrouvent aujourd'hui dans la galère.
Toute cette affaire montre que ceux que les travailleurs auront à combattre ne sont pas seulement ceux qui s'exposent en public, ni les dirigeants politiques, ni même les hauts cadres. Les uns comme les autres sont payés pour assumer les conséquences de la politique qu'ils sont chargés d'appliquer par ceux qui tirent les ficelles.
Et lorsque les travailleurs seront engagés dans une lutte plus ample, large, puissante, susceptible d'inverser le rapport de forces entre le patronat et les travailleurs et d'imposer des revendications immédiates, urgentes, comme le maintien des emplois par l'interdiction des licenciements et par la répartition du travail entre tous, ou la hausse générale des salaires et des retraites, il faudra aussi qu'ils mettent en avant une exigence plus fondamentale, mettant réellement en cause le pouvoir absolu des actionnaires.
Cette exigence, c'est la levée du secret industriel et bancaire, la suppression du secret des affaires, afin que les travailleurs aient la possibilité de contrôler et de rendre publique la comptabilité des entreprises. Il faut que tous ceux qui sont concernés par la stratégie d'une entreprise, par ses projets de suppressions d'emplois ou de délocalisation, ses propres travailleurs, ses usagers, les consommateurs et la population puissent être informés pour avoir les moyens de réagir à temps.
L'ennemi du taureau dans l'arène n'est certainement pas la muleta qu'on brandit devant son museau, mais le torero qui est derrière et qui tient l'épée. Ceux dont les travailleurs ont à contester le pouvoir absolu sur les entreprises, ce ne sont pas les hommes de main, mais leurs maîtres, les gros actionnaires, les propriétaires, leurs conseils d'administration. Pouvoir dévoiler leur duplicité, c'est montrer qu'il est possible de faire payer la crise à ses véritables responsables, et pas aux travailleurs.
Arlette LAGUILLER
Éditorial des bulletins d'entreprise du 30 mars