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Cambodge : Le procès d'un tortionnaire khmer rouge
Le procès de Kaing Guek Eav, un ancien tortionnaire cambodgien sous le régime des Khmers rouges, a débuté à Phnom Penh le mardi 17 février. Dirigeant le centre d'interrogatoires sous torture - le S-21 - il est responsable de la mort de quelque 16 000 personnes. Il aura fallu attendre près de trente ans après la chute des khmers rouges et la mort des principaux dirigeants, dont Pol Pot, pour que soit ainsi jugé un des nombreux auteurs des crimes commis durant les quatre ans que s'est maintenue cette dictature sanglante, entre janvier 1975 et avril 1979, date où elle fut renversée par les armées vietnamiennes.
L'autorité morale de ce tribunal est plus que discutable. Il a été mis sur pied par l'ONU, qui n'a jamais condamné les crimes commis par l'impérialisme américain au Cambodge entre 1969 et 1975, et qui a reconnu le régime khmer rouge pendant des années. Il compte aussi, à côté de magistrats étrangers, des juges déjà en place sous le régime de Pol Pot.
Les puissances occidentales et le Cambodge
Quand l'État français eut perdu la guerre d'Indochine, en 1954, le Cambodge obtint son indépendance avec, à sa tête, le prince Sihanouk, souverain tout dévoué aux intérêts de l'impérialisme français. Mais à la fin des années soixante, l'intensification de la guerre du Vietnam menée par les États-Unis déstabilisa le régime. Les pistes de la jungle cambodgienne servaient de voies de passage aux combattants vietnamiens, tandis que des actions de guérilla contre le régime étaient menées par le Parti Communiste du Cambodge (ou du Kampuchéa), en fait parti nationaliste ayant à sa tête des cadres qui n'avaient retenu du « communisme » dont ils se réclamaient que les méthodes du stalinisme. C'est ce parti qui allait rester tristement célèbre sous le nom de « Khmers rouges ».
Début 1968, après l'offensive du Têt au Vietnam, les États-Unis avaient décidé de se désengager du conflit. Mais ils voulaient se retirer en position de force, ce qui les amena, d'une part, à intensifier les bombardements sur le Vietnam, d'autre part à intervenir au Cambodge. Ils bombardèrent le pays à plusieurs reprises en 1969, avant d'y faire des incursions militaires l'année suivante. Ensuite, ils fomentèrent un coup d'État pour renverser Sihanouk, dont la « neutralité » affichée s'accordait mal avec leur politique. En janvier 1970, Sihanouk fut renversé et le général Lon Nol, soutenu par les armes et les dollars américains, prit la tête du pays. Sans autre soutien que celui des États-Unis, il ne tint pas longtemps après le désengagement de ceux-ci du Vietnam, début 1975. Lon Nol fut renversé le 17 avril 1975 par un coup d'État du Front uni national du Kampuchéa (le FUNK), dirigé par les Khmers rouges, auquel s'était rallié Norodom Sihanouk.
Une fois au pouvoir, sous la direction de Pol Pot, les Khmers rouges s'en prirent à la population. Ils commencèrent par vider les villes, pour enrayer toute tentative de résistance populaire, en envoyant de force leurs habitants dans les campagnes, au nom d'une idéologie qui prétendait faire du Cambodge un État de paysans. Ils se retrouvèrent parqués dans des camps, sans nourriture suffisante pour les alimenter. Les opposants, réels ou possibles, furent systématiquement arrêtés, torturés, et pour finir exécutés, ainsi que leur famille. Les ouvriers, les petits-bourgeois, les intellectuels, chacun était suspect et traité en ennemi. On estime à près de deux millions les Cambodgiens qui moururent sous la dictature des Khmers rouges, entre 20 et 30 % de la population d'alors.
Quand les forces vietnamiennes entrèrent au Cambodge en décembre 1978, leur présence fut accueillie avec soulagement par la majorité de la population cambodgienne. Le régime de Pol Pot s'effondra en quelques semaines, après la prise de Phnom Penh le 7 janvier 1979. Mais les pays impérialistes, à commencer par les États-Unis, s'élevèrent contre le renversement du régime des Khmers rouges, car l'intervention vietnamienne remettait en cause l'équilibre fragile de cette région du monde tel qu'il résultait de la fin de la guerre du Vietnam. Même si les Khmers rouges avaient renversé un gouvernement pro-américain, les États-Unis s'accommodaient finalement d'un régime, fût-il dictatorial, qui était hostile à son voisin vietnamien.
Pendant plus de dix ans, les puissances occidentales, des États-Unis aux pays européens se rangeant derrière la Grande-Bretagne, refusèrent de reconnaître le nouveau régime cambodgien, alimentant même en armes et en argent les restes de l'armée de Pol Pot, prolongeant les combats dans le nord du Cambodge jusqu'au début des années 1990. Ils se montrèrent de même très réticents, pendant des années, à ce que soient jugés les crimes des Khmers rouges.
Autant dire que ce procès n'est qu'une sinistre farce.