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- Lutte ouvrière n°2115
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Dans le monde
En février 1979, la révolution iranienne mettait fin à la monarchie
Le régime du chah
Installé au pouvoir en 1941 avec l'aval des autorités britanniques et américaines, et un moment éloigné par le Premier ministre Mossadegh, le chah était revenu en 1953 grâce à un coup d'État soutenu par la CIA. Depuis, il exerçait sur les 34 millions d'habitants - en 1978 - une dictature féroce, appuyée sur l'armée et la Savak, la police politique aux chambres de torture tristement célèbres. Le régime du chah narguait la misère populaire par son opulence et la morgue d'une mince couche de privilégiés et de parvenus. Dans leur affectation de modernisme à l'occidentale, le chah et sa cour choquaient les masses misérables, paysans pauvres contraints à l'exode vers les bidonvilles urbains ou travailleurs sans qualification et souvent sans emploi. La richesse pétrolière, captée par les trusts internationaux et les diverses couches de parasites, alimentait une intense spéculation, tandis que les travailleurs, du pétrole comme des autres secteurs industriels, devaient affronter chômage, bas salaires et hausse des prix.
Relégués au second plan par le régime, les religieux chiites, eux, étaient en position d'opposants, ce qui leur donnait la possibilité d'imposer aux masses la direction politique des mollahs qui, dans les mosquées ou en exil, attendaient leur heure.
Les manifestations contre le chah, sa politique et l'impérialisme américain qui, aux yeux de tous, tirait les ficelles, se succédèrent dès le début de l'année 1978. Elles furent toutes violemment réprimées par l'armée, parfois avec chars et hélicoptères. La Savak terminait le travail par ses arrestations, ses emprisonnements, ses tortures. Grèves et manifestations s'amplifiant, malgré le nombre de morts et de blessés, le chah, en août 1978, promit des « élections libres »... pour juin 1979. Il changea même, début septembre 1978, de Premier ministre. Mais les revendications populaires, essentiellement politiques, comme la liberté d'expression, la libération des dizaines de milliers de prisonniers politiques, la dissolution de la Savak et surtout le départ du chah, se heurtaient à la même fin de non-recevoir.
Khomeiny à la tête de l'opposition
Malgré l'interdiction, la population continuait les manifestations. Première victoire politique, dix-sept partis sortirent alors de la clandestinité. Le 7 septembre, une grève générale mit en avant les mêmes revendications, auxquelles s'ajoutait désormais le retour de l'ayatollah Khomeiny, arrêté puis exilé depuis quinze ans et, en dépit ou grâce à sa qualité de dignitaire religieux chiite, celui-ci faisait figure de premier opposant au chah.
Dans une déclaration, Khomeiny n'omit pas de « tendre la main aux forces armées iraniennes ». Le chah néanmoins déploya partout celles-ci, qui firent des milliers de morts. Malgré quelques concessions aux ouvriers grévistes, la loi martiale fut proclamée.
Une nouvelle vague de grèves déferla en octobre 1978.
En novembre, la population laborieuse, sans armes, s'affrontait à plus d'un demi-million de militaires au cours de manifestations de cent, deux cent mille personnes, dans un climat de guerre civile. À la raffinerie d'Abadan, la grève aboutit à un accord salarial, mais se poursuivit. Un peuple entier se dressait désormais contre la dictature ; rien ne semblait plus devoir l'arrêter, ni les rares concessions ni la répression. Les hauts fourneaux d'Ispahan étaient hors d'usage, la production pétrolière, à Abadan, presque arrêtée, la vie économique paralysée.
Début janvier 1979, la bourgeoisie iranienne et ses tuteurs impérialistes, cherchant à donner l'illusion d'un changement politique, mirent en place un gouvernement Chapour Bakhtiar.
Celui-ci concéda que « la torture n'est pas nécessaire » et commença de démanteler en partie la Savak. Mais, le chah restant en place, les manifestants continuaient à affronter l'armée poitrine nue pour exiger son départ.
La gauche sans politique
Pendant que Khomeiny, de son exil, multipliait les appels à manifester pour une « République islamique », fin janvier, de larges manifestations de gauche furent organisées par le Parti Communiste Toudeh et les organisations guérilléristes des Fedayin (laïcs) et des Moudjahidin (musulmans). Ces premières apparitions publiques de la gauche se déroulèrent néanmoins derrière les portraits de l'ayatollah. Les manifestants n'en furent pas moins violemment attaqués et dispersés par des groupes de militants religieux, armés, aux cris de « Le seul parti est le parti de dieu ».
Pourtant les partis de gauche se rangeaient entièrement derrière la politique de Khomeiny. Le dirigeant du Toudeh, approuvant l'initiative de Khomeiny de créer un « Conseil de la révolution islamique », expliquait même à un hebdomadaire américain : « La religion chiite a des racines démocratiques et elle a toujours été liée aux forces populaires nationales, anti-impérialistes. [...] Je crois qu'il n'y a pas de différence fondamentale entre le socialisme scientifique et le contenu social de l'Islam. Au contraire, il y a beaucoup de points communs. » Sans programme, la gauche se contentait d'affirmer son existence afin de postuler à une petite place, si Khomeiny et l'armée consentaient à la lui laisser.
Cependant, le chah était contraint d'accepter le retour de Khomeiny, accueilli triomphalement à Téhéran, le 1er février 1979, par des millions de manifestants. Bakhtiar ayant démissionné, le nouveau Premier ministre, Bazargan, fut accueilli par d'immenses manifestations auxquelles participaient... des militaires en tenue.
Le 9 février, des régiments d'aviateurs décidèrent d'apporter leur soutien à Khomeiny. Ils furent attaqués par des « Immortels », les unités de la garde impériale. Les aviateurs durent faire appel à la population et furent rejoints par des groupes de Fedayin et de Moudjahidin. La garde impériale anéantie, les prisonniers politiques furent libérés, les principales bases militaires de Téhéran et de province prises en main, la population s'emparant enfin des armes trouvées dans les casernes et les armureries.
Cependant Khomeiny, qui n'était selon ses propres termes pas rentré pour prendre la tête d'une révolution, allait s'employer, avec l'aide des responsables religieux et des militants islamistes, à restaurer l'ordre à sa façon.
Vers la république islamique
Dès le 12 février, tandis que le président américain Carter reconnaissait le nouveau régime et proposait une « coopération pacifique », l'ayatollah demandait à la population de respecter l'ordre public, de rendre les armes et de reprendre le travail.
Quelques jours plus tard, Khomeiny créait le Parti de la Révolution Islamique, qui allait rapidement devenir parti unique. Cependant des dizaines de milliers de manifestants de gauche se réunissaient à l'université de Téhéran à l'appel des Fedayin, pour la réforme agraire, contre la censure islamique et pour un « gouvernement des travailleurs ». Puis ce furent des manifestations de femmes contre le port du voile obligatoire dans les administrations et des soulèvements de régions kurdes, immédiatement réprimés par l'armée.
Fin mars 1979, la République islamique était proclamée à la suite d'un référendum, auquel le Toudeh avait appelé à voter « oui » - ce qui ne l'empêcherait pas d'être interdit cinq mois plus tard. Il n'était en effet nullement dans les intentions de Khomeiny, ni dans celles des possédants iraniens dont il défendait finalement les intérêts, de mener le soulèvement populaire jusqu'à la satisfaction des revendications des masses pauvres. Il chercha néanmoins à garder leur soutien grâce à un discours nationaliste et antiaméricain et à des initiatives telles que la spectaculaire prise d'otages de l'ambassade des États-Unis en novembre 1979.
Tenant tête à la plus grande puissance mondiale, incontestablement populaire, le régime de Khomeiny trouva, pour des années, un écho auprès des populations elles aussi opprimées par l'impérialisme. Il réussit à se maintenir malgré la guerre meurtrière de huit ans qui allait l'opposer à l'Irak de Saddam Hussein. Mais, au passage, à l'aide des pasdaran, les « gardiens de la révolution », il mit fin à toute opposition politique, à toute liberté dans le mode de vie, en particulier pour les femmes. Ainsi, le grand mouvement populaire et les énormes sacrifices du peuple iranien, au cours de cette révolution confisquée par les dignitaires religieux, allait déboucher pour des années sur le régime répressif de la République islamique.