- Accueil
- Lutte ouvrière n°2114
- Madagascar : Manifestations populaires et bras de fer entre le maire de la capitale et le président
Dans le monde
Madagascar : Manifestations populaires et bras de fer entre le maire de la capitale et le président
Après plusieurs jours d'hésitations, c'est finalement le président en place qui a fait destituer le maire et tout son Conseil municipal pour une sombre histoire de gestion des ordures ménagères. Ce dernier épisode ne met évidemment pas un terme à l'opposition entre les deux hommes et rien ne permet aujourd'hui de prévoir ce qui se passera dans les jours à venir.
Plus important peut-être que la rivalité entre le maire et le président a été la mobilisation populaire de ces dernières semaines. À plusieurs reprises des dizaines de milliers de manifestants ont crié à la fois leur ras-le-bol du pouvoir et leur refus de la pauvreté. Le 26 janvier, la population a dévalisé les grands magasins de la capitale, notamment ceux de la chaîne Magro appartenant au président malgache. Les mêmes scènes se sont répétées les jours suivants dans plusieurs grandes villes de l'île. Les manifestants ont aussi pris pour cible et incendié la télévision et la radio nationales, ainsi que la MBS, une station de télévision appartenant à Ravalomanana. Les émeutes ont déjà fait plus de cent morts.
Andry Rajoelina s'est imposé comme le principal opposant au pouvoir. Samedi 31 janvier, devant plusieurs dizaines de milliers de manifestants, il s'est autoproclamé « le porte-parole du peuple ». La réponse du pouvoir ne s'est pas fait attendre : ce fut la destitution du maire.
Les raisons de la colère
Depuis décembre 2008, la situation n'a cessé en fait de se dégrader. Tout a officiellement commencé, après que le pouvoir, reprochant au maire d'avoir donné une interview de l'ancien président Didier Ratsiraka, a fermé la chaîne de télévision privée Viva appartenant à Rajoelina.
Mais si l'explosion du mécontentement a pris d'emblée un caractère politique antigouvernemental, c'est aussi parce qu'une très grande partie de la population supporte de moins en moins les faits et gestes du président, qui favorise son clan en drainant une partie des fonds publics vers les nombreuses entreprises lui appartenant. Dès son arrivée au pouvoir, le groupe industriel Tiko, propriété personnelle du président, a fait main basse sur de nombreuses sociétés d'État privatisées. Depuis, l'empire industriel de Ravalomanana n'a cessé de croître.
La grande majorité de la population souffre de la pauvreté. L'augmentation des prix de première nécessité comme l'huile, le gaz ou l'essence, est telle que beaucoup doivent s'en passer. Les propos même de Ravalomanana, pour qui « la vie marche très bien sauf pour les produits de première nécessité », en disent long sur l'état de dénuement de la population. Car si pour elle les produits de première nécessité « ne marchent pas », alors rien ne marche.
Divers scandales impliquant des multinationales étrangères ont également accru l'impopularité du gouvernement. La location pour 99 ans de nombreuses terres cultivables de l'île, 1,3 million d'hectares selon le Financial Times, à une société sud-coréenne, Daewoo Logistics, en vue de la culture de maïs et de palmiers à huile, a été ressentie par tous comme un bradage des possibilités de production nécessaires à la population. Et le président continue d'étaler sa richesse : il vient de s'offrir un avion qui coûte la bagatelle de 60 millions de dollars, en partie payé sur des fonds publics.
Un maire capitaliste contre un président capitaliste
C'est bien plus l'opposition affichée du maire au président en place qui fédère le mécontentement de la population que son programme politique et social totalement vide. Issu d'une famille de la bourgeoisie, Rajoelina s'est lancé avec succès dans les affaires, notamment dans la publicité, avant de se faire élire maire de la capitale en 2007. Sa soif de pouvoir et son ambition ressemblent à s'y méprendre à celles de l'actuel président ; lui aussi fut maire d'Antananarivo, lui aussi était arrivé au pouvoir après des semaines de manifestations contre le régime de Ratsiraka.
Pour l'heure, le maire de la capitale ne semble pas avoir réussi à créer un rapport de forces en sa faveur et le président semble toujours bénéficier du soutien des membres de son gouvernement, des forces de répression et des différentes Églises chrétiennes très influentes parmi la population. On ne peut donc savoir aujourd'hui comment la situation peut évoluer, et en faveur de qui. Une chose est cependant certaine, les deux protagonistes ne représentent pas les intérêts de la population ; la démagogie de l'un étant identique à celle jadis employée par l'autre, leurs politiques sont en fait totalement semblables.
Quant à la France, ancienne puissance coloniale, elle adopte actuellement une attitude plus prudente qu'en 2002, époque où son soutien appuyé à l'ancien président Ratsiraka s'était soldé par un échec et par un refroidissement passager des relations, quand Ravalomanana était arrivé au gouvernement.
La mesure et la modération dont font preuve aujourd'hui Kouchner et derrière lui tout le gouvernement français montrent, s'il en était besoin, que les deux prétendants au pouvoir sont à leurs yeux de bons interlocuteurs, c'est-à-dire de bons garants des intérêts de l'impérialisme français à Madagascar.