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- Lutte ouvrière n°2110
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Dans le monde
8 janvier 1959 : Castro et ses compagnons prenaient le pouvoir à Cuba
Le 8 janvier 1959, Fidel Castro et ses compagnons entraient triomphalement à La Havane. Le régime corrompu de Batista, qui faisait régner la terreur depuis des années sur l'île, s'était effondré une semaine plus tôt. À l'annonce de la fuite du dictateur, la foule déferlait dans les rues des villes. L'espoir immense d'en finir avec les années d'oppression et de misère soulevait les masses populaire et les ralliait aux barbudos de Fidel.
Des années de dictature
Batista, arrivé au pouvoir en mars 1952, avait instauré une dictature sanglante, avec l'appui ouvert des États-Unis. La corruption, les tripots, les trafics de toutes sortes, la prostitution avaient envahi les villes, transformées en véritables bordels pour touristes fortunés nord-américains. La bourgeoisie cubaine comptait quelques familles fabuleusement riches, grâce à l'exploitation de la canne à sucre, du café, du tabac. Mais la corruption du régime et son impopularité atteignirent un tel degré qu'une partie des classes possédantes se détourna de Batista. Un des principaux producteurs de sucre alla jusqu'à fournir des fonds à Castro, comme on prend une assurance sur l'avenir...
Depuis l'échec d'une première tentative de coup d'État cinq ans auparavant, Castro et ceux qui l'accompagnaient attendaient leur heure dans les montagnes entourant la ville de Santiago. Au premier noyau de guérilleros s'étaient joints des jeunes, des étudiants, fuyant les villes et la répression, mais aussi des paysans exsangues, mourant de faim. Dans les villes, la classe ouvrière vivait elle aussi une situation terrible, au point qu'une grève insurrectionnelle avait explosé en avril 1958, brutalement réprimée. À la campagne, les ouvriers agricoles ne touchaient un maigre salaire que pendant la récolte de la canne à sucre (soit dix semaines par an). On comptait 650 000 chômeurs, pour une population totale de 6 millions d'habitants.
Ancienne colonie espagnole, Cuba était devenue formellement indépendante en 1902... pour passer sous la tutelle des États-Unis. Depuis lors, l'île n'avait connu que des régimes dictatoriaux. 80 % de la population vivait dans une misère sans fond et la moitié était analphabète. L'industrie était en majeure partie aux mains de grands groupes étrangers, surtout américains. La plupart des paysans étaient sans terre, à la merci des grands propriétaires, principalement des compagnies sucrières étrangères. Onze d'entre elles possédaient 47 % des terres à sucre de Cuba, de loin principale production agricole.
Dans cette situation, tous ceux qui applaudirent l'arrivée des barbudos au pouvoir aspiraient aussi à la fin de la corruption, à la liberté et à la démocratie, mais surtout à de meilleurs revenus et à l'octroi de terres. Une fois au pouvoir, pour réaliser ces aspirations, Castro et ses compagnons s'engagèrent dans la voie de réformes économiques et sociales modérées, mais qui remettaient en cause la totale dépendance économique du pays à l'égard des États-Unis.
L'hostilité croissante des Etats-Unis
Au lendemain de son arrivée au pouvoir, Castro se rendait aux États-Unis pour se défendre des accusations portées contre lui et tendre la main au gouvernement américain. Lors d'une conférence de presse, à New York, le 17 avril 1959, il déclarait : " J'ai dit de façon claire et définitive que nous ne sommes pas des communistes... Les portes sont ouvertes aux investissements privés, qui contribuent au développement de l'industrie à Cuba... Il est absolument impossible que nous fassions des progrès si nous ne nous entendons pas avec les États-Unis. "
Mais les mesures prises afin de soulager la misère de la population cubaine heurtèrent les intérêts capitalistes américains. Quelques mois après son arrivée au pouvoir, la réforme agraire annoncée fut entreprise, par la distribution des terres laissées en friche par les grands propriétaires et les anciens dignitaires de Batista aux paysans regroupés en coopératives. À ces dispositions prudentes, les États-Unis réagirent immédiatement, dénonçant le régime et annonçant des mesures de rétorsion, dont en premier lieu une réduction importante des importations de sucre cubain. Le régime répondit par la prise en main des terres des grandes compagnies sucrières américaines, comme United Fruit Company. Rapidement, la mise en exploitation des friches, la diversification des cultures permirent de fournir travail et nourriture à un nombre grandissant de paysans et de lier ces derniers au régime.
Au fil des mois et malgré des tentatives répétées de la part de Castro de maintenir des relations avec les États-Unis, les rapports avec le gouvernement américain se durcirent, d'autant plus que l'existence du nouveau régime cubain soulevait des sympathies un peu partout, et en particulier dans les populations d'Amérique latine. Les dirigeants cubains réitéraient leurs objectifs : " Ni communisme, ni capitalisme ", mais, disait Castro, " une révolution autochtone, cubaine, aussi cubaine que notre musique ", d'inspiration nationaliste et faisant sienne le principe de non-intervention : " Il nous a été demandé si nous croyons que les révolutions doivent être exportées. Nous avons répondu non ", insistait Castro dans un discours d'avril 1959. Mais c'était loin de rassurer les États-Unis. Au Nicaragua, au Panama, en Haïti et dans tant d'autres pays, les événements cubains représentaient, de fait, un exemple qui risquait de faire contagion.
Un nationalisme radical
Le régime castriste gagna sa popularité grâce à la réforme agraire, même limitée, ainsi que, rapidement, grâce à la lutte contre l'analphabétisme, le manque de logements, la sous-alimentation, le sous-équipement, le manque dramatique de soins. Ainsi, la création d'un système de santé pour tous, aujourd'hui encore, permet à Cuba d'envoyer des médecins dans des pays d'Amérique latine qui en manquent.
Castro ne plia pas devant les États-Unis, qui entreprirent de limiter, puis de bloquer complètement les échanges commerciaux avec l'île. Sous cette pression, pour échapper à l'asphyxie économique, les dirigeants cubains se tournèrent alors vers l'URSS, qui fournit à partir de juillet 1960 l'aide économique refusée par l'impérialisme américain. Et lorsque les raffineries américaines et anglaises Texaco, Standard Oil et Shell refusèrent de raffiner le pétrole acheté, non aux États-Unis, mais à l'URSS, le gouvernement cubain tint bon et n'hésita pas à les nationaliser. La riposte ne se fit guère attendre : en octobre 1960, le gouvernement américain décidait l'embargo total, embargo toujours en vigueur.
Pour survivre, Cuba lia plus étroitement son sort à l'URSS. Castro se découvrit communiste, ce qui vaut à son régime d'être présenté comme une des dernières " dictatures communistes ".
Aujourd'hui, cinquante ans après l'arrivée de Castro au pouvoir, le régime tient encore. Cuba reste certes un pays pauvre, d'autant que la disparition de l'URSS représenta pour l'île une catastrophe économique. La démocratie est loin d'y régner. Mais ce n'est pas cela que lui reprochent les États-Unis, qui n'hésitent pas à soutenir des régimes autrement féroces. Ce que lui reproche en fait l'impérialisme américain, c'est de ne pas se soumettre à ses exigences. Mais c'est aussi pour cela que, en dépit de toutes les critiques qu'on peut faire au régime, on ne peut être que solidaire du peuple cubain face aux pressions de l'impérialisme.