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Russie : Medvedev entre en fonction sous l'oeil de Poutine
Deux mois après avoir été élu à la tête de la Russie, pour y succéder à Poutine, Dmitri Medvedev a été intronisé président, le 7 mai. Le lendemain, selon le protocole, il devait désigner Poutine comme Premier ministre. Et le surlendemain, tout le gratin politique russe devait assister à la parade militaire célébrant la victoire de l'Union soviétique sur l'Allemagne nazie.
Derrière l'unité qu'à cette occasion n'auront pas manqué d'afficher le nouveau président et l'ancien, dans l'ombre duquel il a fait carrière, les déclarations assassines de part et d'autre se sont déjà multipliées, chacun voulant afficher sa prééminence dans cet exécutif à deux têtes qui rappelle l'aigle tsariste bicéphale.
Récemment, le quotidien Vremia novostieï (« Le temps des nouvelles ») expliquait à ses lecteurs, en évoquant Alexandre Dumas, que si le tandem dirigeant avait intérêt à s'entendre, cela ne concernait ni les mousquetaires du roi-Medvedev, ni ceux du cardinal-Poutine. Car les appareils et soutiens de l'un comme de l'autre ne manqueront pas de profiter de l'absence d'un chef unique à la tête de l'État russe pour tenter d'avancer leurs pions. Et de défendre leurs positions comme ceux d'en face.
Des luttes de clans ravivées
Certains de ces groupes seront bien sûr tentés de jouer Medvedev contre Poutine, car ce dernier a placé ses hommes, et eux seuls, à la tête des plus grandes entreprises : celles du gaz, du pétrole et, en général, celles qui représentent les exportations les plus lucratives. Ce sont elles dont le contrôle permet aux grands secteurs de la bureaucratie dirigeante de s'enrichir comme jamais. Et Poutine n'a pas cessé, ces derniers temps, de dire que, s'il acceptait de laisser la conduite des affaires étrangères à Medvedev, il se réservait les affaires intérieures, à commencer par l'économie.
En mars dernier, Medvedev avait rencontré les gouverneurs des régions en leur faisant la leçon sur la nécessité de développer la petite et moyenne entreprise - toujours rachitique en Russie et largement mise à contribution par les hommes du pouvoir, qui à tous les échelons rançonnent l'économie. Au passage, il avait menacé les « fonctionnaires » qui continueraient à agir ainsi de leur mener la vie si dure qu'il les mettrait « au bord de l'infarctus ».
À l'époque, l'hebdomadaire Argoumenty i fakty (« Faits et arguments ») avait titré : « Medvedev s'apprête à leur retirer leur mangeoire ». Certains, en effet, ont vu là une déclaration de guerre du nouveau président à certains grands corps de la bureaucratie qui ont fait de tel ou tel secteur de l'économie leur mangeoire... sous la protection, intéressée dit-on, de Poutine.
Il n'est donc pas étonnant, au moment où de grandes manoeuvres ont repris avec force autour du pouvoir et des sources d'enrichissement auxquelles il donne accès, que des commentateurs évoquent maintenant « une période de profonde instabilité dans le pays ».
Une économie pillée
D'autant plus que, de l'avis de la plupart des spécialistes de l'économie du pays, cette dernière, après avoir été dopée par l'envolée des prix du gaz et du pétrole, s'essouffle. L'inflation ne cesse de croître, tandis que les autorités seraient bien en peine de dire pourquoi les formidables rentrées de devises des huit dernières années n'ont pas servi à développer de nouveaux équipements productifs et infrastructures économiques. Pourtant, sauf exception, ils n'ont pas été renouvelés depuis une vingtaine d'années.
En fait, ces sommes d'argent fantastiques ont été accaparées par les milieux dirigeants du pays et par une bureaucratie qui affiche son opulence, en Russie, et continue de cacher sur des comptes à l'étranger une bonne partie de ce qu'elle tire du pillage de l'économie.
Car si par le nombre de milliardaires, selon l'hebdomadaire Diélo (« La cause ») citant des sources officielles, la Russie est dans le peloton de tête des pays les plus riches de la planète, « l'écart entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres y est le même que dans les pays sous-développés du Tiers Monde ». Et de poursuivre : « Dans la Russie d'aujourd'hui, il y a 4 millions de SDF, 3 millions de très pauvres, près de 5 millions d'enfants abandonnés, et des millions de prostituées », tandis que « parmi les 31 millions d'enfants de moins de 18 ans, ceux qui sont en bonne santé sont à peine 30 % et 2 millions sont analphabètes ».
Et même parmi la population qui a un travail, la forte hausse des prix provoque de plus en plus de mécontentement, ce qui s'exprime notamment par des grèves pour des augmentations de salaire dans l'automobile, la chimie, les chemins de fer, etc., pour ne citer que des secteurs touchés ces dernières semaines.
Alors Medvedev n'est peut-être pas au bout de ses peines. Et pas seulement à cause de sa rivalité avec Poutine.