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Kenya : Simulacre électoral et bain de sang
Le Kenya a été secoué par de violentes émeutes antigouvernementales, ces dernières semaines.
Le 27 décembre, au sortir de l'élection présidentielle, le président-dictateur sortant, Mwai Kibaki, réalisant un véritable coup de force, s'est autoproclamé " élu ". Cela a mis le feu aux poudres, déclenchant la colère de la population pauvre des bidonvilles de Nairobi, la capitale. La révolte s'est étendue à d'autres villes de province comme Eldoret ou Kisamu. Acquise au candidat de l'opposition, Raila Odinga, chef du Mouvement Démocratique Orange, ancien ministre de Kibaki et devenu son principal rival aujourd'hui, la population a répondu à la fraude massive orchestrée par le pouvoir en manifestant dans la rue, en s'attaquant aux magasins, en affrontant les forces de l'ordre. Émeutes et répression policière ont fait près de 600 morts et entraîné l'exode de 250 000 personnes.
Le Parti de l'Unité nationale de Kibaki règne en maître sur le Kenya depuis des décennies. Les hiérarques du régime se partagent la manne financière liée au tourisme, principale, pour ne pas dire unique richesse du pays. La corruption est généralisée, notamment dans les hautes sphères du pouvoir. Deux affaires de corruption portant sur le détournement de plusieurs centaines de millions de dollars au détriment du Trésor kenyan ont fini d'achever le discrédit du régime Kibaki aux yeux de la population kenyane. Un discrédit dont a profité son ancien ministre Raila Odinga, pour apparaître aux yeux des masses pauvres comme l'homme du changement !
Le président-dictateur sortant, Kibaki, n'a cessé de défrayer la chronique. En 2006, un rapport avait rendu publics les millions de dollars consacrés... à l'achat de voitures de luxe à l'usage des privilégiés du régime. Cette somme aurait pu assurer la scolarité de 25 000 enfants pendant une bonne dizaine d'années ! Parallèlement, la population qui s'entasse dans les bidonvilles des grandes villes, sans eau ni électricité, avec bien souvent moins de un dollar par jour pour survivre, est confrontée quotidiennement à une flambée des prix des biens de consommation.
Les élections kenyanes, présidentielle et législatives, qui viennent d'avoir lieu se sont donc déroulées dans un contexte de discrédit généralisé du régime et dans un climat social et politique très tendu. La campagne électorale a fait déjà 70 morts lors d'affrontements entre partisans et adversaires de Kibaki. Les élections législatives ont permis à la population de sanctionner les ministres corrompus qui briguaient un mandat au Parlement. Pas moins de vingt ministres ont été battus à plate couture par les candidats de l'opposition, celle-ci raflant les trois quarts des 210 sièges à pourvoir. L'élection présidentielle, qui avait lieu au même moment, risquait à son tour de se transformer en déroute pour Kibaki. Les résultats partiels de 183 circonscriptions sur 210 donnaient gagnant Raila Odinga. Mais coup de théâtre... ce fut Kibaki qui fut proclamé " élu " !
Pour assurer " son élection " et rattraper son adversaire, Kibaki avait bourré les urnes. Il a décrété le black-out sur toute information, interrompant toutes les émissions de radio et de télévision, expulsant manu militari du centre de conférence les journalistes censés couvrir les élections. Et surtout, il a déployé massivement les forces de répression, police, garde présidentielle, forces spéciales et forces armées, enrôlant jusqu'aux gardiens de prison pour mater la révolte naissante dans les rues de la capitale. Dans les villes du pays et dans les bidonvilles connus pour être des fiefs de l'opposition, l'armée a tiré à balles réelles sur les manifestants. De 300, le nombre des victimes est passé à plus de 600, chiffres officiels de la police kenyane et donc certainement sous-évalués.
La presse, le pouvoir et même l'opposition ont présenté les affrontements de ces derniers jours au Kenya comme d'origine ethnique : entre les Luo, ethnie à laquelle appartient l'opposant Odinga, et les Kikuyu, ethnie de Kibaki. C'est ce qui se serait produit notamment lors du massacre de dizaines de villageois Kikuyu brûlés vifs dans une église. Cet aspect existe certainement, et il est probable aussi que les différents clans politiciens spéculent sur ce type d'affrontement. Mais réduire les événements du Kenya à cela relève de l'escroquerie.
Le paravent démocratique, un multipartisme de façade mis en place au Kenya ces dernières années pour attirer les investisseurs étrangers, vient de crouler sous les balles des militaires. Afin de se maintenir, le pouvoir a mis un terme au simulacre des élections dans un bain de sang.