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Dans le monde
Russie : Poutine plébiscité
Les élections législatives du 2 décembre ont été un large succès pour le parti Russie Unie, dont le président russe Poutine a personnellement dirigé la campagne. Un succès qui lui a valu les félicitations de Sarkozy, seul dirigeant occidental à lui en adresser. Avec 64,19 % des voix, Russie Unie arrive très largement en tête et égale le score par lequel Poutine avait été réélu président en 2004. Trois cent quinze sièges devraient lui revenir à la Douma (la Chambre des députés). Seuls trois autres partis ont réussi à franchir la barre de 7 % permettant d'avoir des élus. Le Parti Communiste, avec 11,59 % des suffrages, aurait 57 députés. Le parti de l'ultra-nationaliste Jirinovsky, qui soutient Poutine, en aurait 40 avec 8,18 % des voix. Quant à Russie Juste, récemment créée par le Kremlin, ses 7,78 % lui donnent 38 élus.
Près de 400 des 450 sièges à la Douma iront donc aux partis soutenant ouvertement Poutine. S'appuyant sur cette majorité écrasante et se targuant d'une forte légitimité populaire, le président russe va tenter de résoudre la principale question qui préoccupe actuellement les cercles dirigeants : celle de sa succession.
En mars 2008, devrait avoir lieu une élection présidentielle sans que, dans l'état actuel des choses, la Constitution russe autorise Poutine à briguer un troisième mandat. Et depuis des mois les médias relayent rumeurs et hypothèses variées sur la façon dont Poutine pourrait quitter la présidence tout en gardant la réalité du pouvoir.
Quelle que soit la solution qu'il trouvera, et quelles que soient les fraudes qui ont émaillé le scrutin du 2 décembre, ce dont la presse internationale s'est fait l'écho, Poutine bénéficie certainement d'un crédit dans l'opinion, grâce à un bilan qui apparaît comme relativement positif à une grande partie de celle-ci.
Après des années de déliquescence du pouvoir, soviétique sous Gorbatchev, puis russe sous Eltsine, Poutine semble en effet avoir rétabli le pouvoir central, mais aussi le fonctionnement de l'économie.
" Remise en ordre "...
Quand il parvint au pouvoir, fin 1999, le pouvoir central était à l'image titubante d'un président Eltsine ravagé par la maladie autant que par l'alcool. L'économie était livrée au pillage débridé des mille et un secteurs de la bureaucratie, le pays avait été démembré, et ce qu'il en restait était la proie des roitelets locaux de la bureaucratie, qui avaient transformé leur province ou leur république en un fief soumis à leur clan. Ils l'avaient doté de lois propres, contrevenant à celles édictées par Moscou, parfois de représentations indépendantes à l'étranger. Ils retenaient les impôts pour en faire profiter les seuls membres de leur clan. Et avant même le krach financier d'août 1998, la mise à sac des caisses de l'État par les nombreux clans rivalisant autour du pouvoir central avait mis le pays à genoux.
Dès la fin 1999, Poutine entreprit de restaurer l'autorité de l'État russe avec une poigne de fer. Il lança une seconde guerre terrible dans le Caucase et mit au pas les proches du pouvoir précédent qui avaient profité de la faiblesse de ce dernier pour s'enrichir à grande vitesse, précipitant une grande partie de la population dans la misère.
Pour cela, Poutine a été aidé par la flambée des prix des hydrocarbures et autres matières premières, dont la Russie est l'un des premiers producteurs mondiaux. Cela a renfloué les caisses de l'État, et permis de verser à peu près régulièrement des salaires et pensions moins misérables que précédemment, ce qui a été mis au compte de Poutine par une population qui n'en pouvait plus.
C'est d'abord cette remise en ordre de la société qui explique la relative popularité de Poutine, dont les résultats électoraux donnent un reflet amplifié par la brutale mise à l'écart de la plupart des courants d'opposition.
...par la " dictature de la loi "
Pour parvenir à ses fins, Poutine a su s'appuyer sur ce qui avait, au sein du pouvoir, le mieux résisté à la déliquescence de l'ère Eltsine : l'ex-KGB, autrement dit la police politique, l'armée, la police et autres corps de répression. Ancien officier du KGB, il a systématiquement placé des hommes des " ministères de force " à la tête des rouages de l'État, des entreprises géantes reprises aux oligarques. Ces " siloviki ", les hommes des forces armées en tout genre, ont peu à peu reconstruit ce que Poutine nomme la " verticale du pouvoir " au moyen de la " dictature de la loi ".
Ladite loi est d'abord celle de la bureaucratie ex-stalinienne qui est restée la force sociale et politique dominante de la société russe. Car à côté de " nouveaux riches " prospérant dans les affaires, on trouve une bureaucratie très nombreuse qui exploite le fait qu'elle tient le pouvoir, et donc celui d'autoriser ou pas les affaires de la petite et moyenne bourgeoisie russe.
Le Kremlin de Poutine chapeaute au sommet ce parasitisme en grand - le montant de la seule corruption, dont la bureaucratie est la principale sinon unique bénéficiaire, est estimé à 250 milliards de dollars par an ! Il régule aussi, dans une certaine mesure, la mise en coupe réglée de l'économie en ayant distribué aux divers clans du pouvoir des parts du gâteau, et en veillant à ce que certains ne puissent pas s'estimer trop lésés par d'autres. Mais si Poutine a ainsi pu s'établir comme un nouvel arbitre suprême au sein de la bureaucratie - une vieille tradition depuis Staline -, les équilibres qui en résultent restent fragiles. On l'a encore constaté ces derniers mois, où des généraux se sont retrouvés en prison, et d'autres hauts gradés ont été assassinés, au fil de sombres règlements de comptes entre clans des services secrets sur fond de contrôle des trafics de drogue.
La précarité même de cet équilibre, et l'expérience que la bureaucratie a faite ces vingt dernières années du chaos qu'entraînait l'absence d'un arbitre suprême, font que, pour l'heure, les clans dirigeants russes considèrent de leur intérêt bien compris que rien ne change d'essentiel à l'édifice actuel du pouvoir.
S'adressant au pays à la veille du scrutin législatif, Poutine avait dit que le pays entrait " dans une phase de renouvellement complet des pouvoirs ". Mais le problème de Poutine, et des sommets de la bureaucratie, est surtout que rien d'essentiel ne change dans cet équilibre fragilement restauré.