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Grande-Bretagne : Les postiers en colère.
Début octobre, pendant près de quinze jours, une partie de la poste britannique a été paralysée par une vague gréviste. Sans être explosive, la colère des postiers a paru suffisamment inquiétante à la direction des postes pour qu'elle choisisse de lâcher du lest et pour que l'appareil du syndicat des postiers CWU se demande s'il ne risquait pas d'être débordé par les grévistes.
Ce mouvement est à replacer dans le contexte d'une longue dégradation des conditions de travail dans les postes, le dernier des grands services qui reste à privatiser en Grande-Bretagne. Cette dégradation avait déjà provoqué une vague de grèves sauvages en 2003. L'enjeu était alors la suppression de la deuxième distribution de courrier, c'est-à-dire en fait celle de 30 à 40 000 emplois (environ 25 % des effectifs) et une aggravation de la charge de travail, en particulier pour les facteurs.
À l'époque, le mouvement n'avait pu empêcher l'appareil du CWU de signer un accord qui lui donnait le " droit " d'organiser les suppressions de postes avec les patrons locaux ! Du coup, la poste avait pu supprimer les emplois prévus et même imposer avec l'aval du CWU la transformation de milliers de postes à temps plein en temps partiels.
Quatre ans plus tard, c'est à l'occasion des négociations salariales annuelles que le problème des conditions de travail a été reposé, en même temps que celui des retraites.
Sur le plan des conditions de travail, il s'agit d'imposer aux postiers une flexibilité tous azimuts : polyvalence, mobilité d'un bureau de poste à un autre, devoir impératif des équipes de faire le travail des absents, suppression de majorations et allocations diverses pour horaires d'équipe ou décalés, et introduction de la journée " élastique ", pouvant aller de 6 à 10 heures et sans préavis. Sur les retraites, l'âge de la retraite était repoussé de 60 à 65 ans et les nouveaux embauchés perdaient la retraite actuelle (dans laquelle le montant de la retraite est fonction du salaire) pour se contenter d'une retraite sans garantie de montant.
En toute logique, il n'y avait pas grand-chose à négocier lorsque la direction des postes présenta ce projet en mars. Cela n'empêcha pas le CWU d'attendre le mois de mai pour organiser un vote en prenant position pour la grève. Le vote donna 77 % pour la grève, mais le CWU attendit encore la fin juin pour organiser deux grèves de 24 heures espacées de quinze jours, suivies, à partir de la fin juillet, d'une série de grèves tournantes catégorielles de 24 heures.
Soudain, le 9 août, le CWU annula tous les mouvements prévus, annonçant qu'il était arrivé à une ébauche d'accord avec la direction. Seulement, comme condition à la poursuite des discussions, la direction exigeait un silence complet sur le contenu des négociations : les travailleurs devaient donc se contenter d'être tenus dans l'ignorance.
Après deux mois de diplomatie secrète, le CWU finit par annoncer brutalement la rupture des discussions. Deux grèves de 48 heures étaient appelées pour le 5-6 et 8-9 octobre, et comme elles n'étaient séparées que par un week-end et furent très suivies, cela signifiait six jours sans courrier... pour commencer. Car le 10 octobre, des dizaines de centres de distribution se mirent en grève sauvage spontanément, principalement dans les grandes villes, contre les tentatives de l'encadrement de faire passer en force des mesures de flexibilité. Toute la région de Liverpool était paralysée ainsi que l'est de Londres, Glasgow, Edinburgh, etc. Les jours suivants, la grève s'étendit à d'autres centres dans le Yorkshire, des villes du Sud-Ouest. Bien que sans aucune coordination, la colère des grévistes, telle qu'elle s'exprimait sur les placards des piquets de grève, était partout la même.
Pendant ce temps, le CWU reprenait ses discussions avec la direction. Mais dès le 11 octobre, il annulait les grèves tournantes qui devaient suivre. Le lendemain les négociateurs annonçaient être arrivés à un accord avec la direction. Pendant près d'une semaine, le CWU réserva encore sa position sur l'accord en question, soit qu'il attendait que les grèves sauvages perdent leur souffle, soit que certains responsables aient pensé qu'ils ne pouvaient pas " vendre " l'accord tel quel aux travailleurs.
Et pour cause, car sur le fond, la direction n'a reculé sur rien. Certes elle lâche un peu de lest : le problème des retraites sera revu plus tard, une prime exceptionnelle sera versée (qui revient au paiement des heures de grèves légales pour un postier en bas de l'échelle) et les augmentations prévues pour les deux années à venir sont payables dès ce mois-ci. Mais sur la flexibilité, c'est la même entourloupe qu'en 2003 : la journée " élastique " n'aura qu'une marge de variation d'une heure au lieu de quatre, mais tout le reste est à négocier localement, et l'expérience de 2003 n'a que trop montré à quel point cela peut coûter cher aux travailleurs.
Un vote doit avoir lieu sur cet accord qui scandalise bien des travailleurs, mais ce sera dans un mois, lorsque la mobilisation exprimée par les grèves sauvages sera retombée. La direction du CWU ne veut pas prendre de risques. Reste à savoir si les postiers se laisseront prendre à ce jeu.