Turquie : L'armée sur le pied de guerre.25/10/20072007Journal/medias/journalnumero/images/2007/10/une2047.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Turquie : L'armée sur le pied de guerre.

L'armée turque est sur pied de guerre. Plusieurs dizaines de milliers de soldats - on parle de cent mille - sont concentrés le long de la frontière irakienne et le chef de l'état-major se dit " décidé " à pénétrer sur plusieurs dizaines de kilomètres à l'intérieur de l'Irak, là où la population est en majorité kurde. L'objectif serait d'en chasser les combattants du PKK, l'organisation de guérilla fondée par des Kurdes de Turquie, qui seraient environ 3 500, regroupés dans des camps en territoire irakien.

Depuis le mois de janvier, plus d'une cinquantaine de soldats turcs sont morts à la suite des attaques attribuées au PKK, qui agit également en territoire turc. Dimanche 21 octobre, 12 soldats turcs y ont été tués, dans un village situé près de la frontière. L'armée turque a répondu en faisant 32 morts, utilisant des avions de chasse, des hélicoptères de guerre et de l'artillerie pour bombarder les positions du PKK.

En fait, depuis le mois d'avril, le chef de l'armée turque, le général Büyükanit, mène une campagne intensive pour obliger le gouvernement à donner sa caution à une opération militaire en Irak. Réticent, le gouvernement dirigé par Erdogan, chef du parti AKP sorti vainqueur des élections de l'été, a fini par céder, demandant officiellement au Parlement d'autoriser l'armée à mener des opérations de grande envergure.

L'armée va-t-elle maintenant mettre ses menaces à exécution ? Ce n'est cependant pas sûr. De toutes parts, et en particulier du côté des États-Unis, la Turquie a été mise en garde contre une telle opération. Et lundi 22 octobre le ministre de la Défense turc a reconnu qu'il existe des " projets d'incursion de l'autre côté de la frontière " mais " pas prévus de façon urgente ". En fait, comme le rappelait une partie de la presse turque, il y a déjà eu ces dernières années pas moins de 24 opérations militaires à l'intérieur du territoire irakien, dont certaines de grande envergure, mobilisant parfois jusqu'à 35 000 soldats, sans venir pour autant à bout de la présence du PKK en Irak du Nord.

L'état-major lui-même sait donc bien qu'il ne réussira pas à écraser le PKK. Sa campagne vise plutôt à faire pression sur les États-Unis et sur les autorités kurdes irakiennes pour qu'ils se chargent eux-mêmes de limiter son action, voire de lui interdire les actions armées en direction de la Turquie. Le président kurde irakien Jalal Talabani a ainsi proposé au PKK de se transformer simplement en " mouvement politique ".

En revanche, toute cette affaire est l'occasion de mener en Turquie une campagne nationaliste et guerrière, dans laquelle les chefs de l'armée et l'extrême droite rivalisent à qui fera le plus appel à la solidarité avec les soldats victimes de la " terreur " du PKK. Une collecte a été lancée en faveur des soldats et des manifestations de soutien ont lieu, en fait plus bruyantes que massives. Tout cela est l'occasion pour l'armée de prendre sa revanche sur le gouvernement et de faire comprendre à Erdogan et à ceux qui le soutiennent qu'en Turquie, encore aujourd'hui, c'est elle qui peut imposer ses choix.

En effet une partie de la presse turque elle-même explique qu'il n'y a pas de " solution militaire " à la question kurde. Le Tüsiad, organisation patronale équivalant au Medef en France, a lui aussi constaté à plusieurs reprises que la guerre au Kurdistan avait coûté plus de 100 milliards de dollars, sans apporter de solution. Mais ni le patronat turc ni le gouvernement de l'AKP n'ont vraiment les moyens d'imposer qu'une solution politique soit donnée au problème kurde, en reconnaissant effectivement à cette population le droit de parler et d'écrire sa langue, voire le droit à une certaine autonomie.

L'armée turque se lancera-t-elle ou non dans une opération de grande envergure en Irak, aux dépens de la population kurde et en augmentant encore un peu le chaos qui y règne ? Ce n'est pas encore sûr. En revanche il est certain que la population de Turquie elle-même paiera encore une fois, d'une façon ou d'une autre, pour cette pression accrue de l'armée sur toute la vie politique et sociale.

Partager