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Allemagne : La justice veut interdire la grève des cheminots
Le tribunal du travail de Nuremberg a interdit, le mercredi 8 août, la grève pour les salaires qui devait démarrer le lendemain à la Deutsche Bahn (DB), les chemins de fer allemands.
Pourtant le syndicat des conducteurs de locomotives (GdL), qui avait appelé à la grève, avait respecté la procédure légale pour pouvoir déclencher une grève. Après des semaines de négociation avec la direction, devant l'absence de proposition sérieuse de celle-ci, il avait organisé un vote par correspondance de ses adhérents, qui avaient voté à 95,8 % le principe d'une grève illimitée. La direction du syndicat avait alors prévu de paralyser, à partir du 9 août, le trafic de marchandises et de bloquer le trafic des voyageurs quelques jours plus tard.
Mais, arguant que la grève menacerait « l'ensemble de l'économie, en particulier dans une période de voyages intensifs, de dégâts économiques immenses », les juges ont décidé d'interdire cette grève jusqu'au 30 septembre. Décision qui revient à supprimer dans les faits le droit de grève, pourtant garanti constitutionnellement. Elle fait suite à une décision similaire qui avait interdit, le 10 juillet, un débrayage de trois heures. Mais les dirigeants de GdL avaient alors attendu que la décision leur soit expressément notifiée pour donner l'ordre de reprendre le travail... un quart d'heure seulement avant la fin prévue du débrayage. Cet acharnement juridique n'est évidemment pas étranger à la décision du gouvernement, votée récemment par le Parlement, de privatiser à partir de 2008 la Deutsche Bahn, qui a déjà été transformée depuis des années en société anonyme.
Cela n'a pas empêché, ce même 9 août, que des débrayages paralysent en grande partie pendant deux heures les réseaux du S-Bahn (l'équivalent du RER) de Berlin et de Hambourg, des secteurs qui ne tombaient pas sous le coup de l'arrêté du tribunal. Et dès le 10 août, GdL a obtenu, en appel, l'annulation de la décision juridique, à condition d'accepter une médiation de deux experts... issus du parti de droite CDU ! Pour l'instant, le syndicat s'est rangé à cette décision et a déclaré qu'il ne lancerait pas de nouvelle grève avant le 27 août.
En Allemagne, il n'y a pas de réglementation sur le service minimum, mais bien d'autres limitations au droit de grève existent, puisque celle-ci est pratiquement interdite pendant toute la durée d'une convention collective salariale. Mais l'acharnement de la DB, du gouvernement de coalition CDU-SPD et de la justice contre les agents de conduite témoigne de la crainte que ceux-ci inspirent : lors des débrayages précédents, les 3 juillet et 10 juillet, le trafic ferroviaire avait été fortement perturbé dans l'ensemble du pays. Alors les cheminots n'ont peut-être pas dit leur dernier mot, d'autant que l'opinion publique ne leur est pas hostile : deux sondages publiés en juillet indiquent qu'entre 69 et 71 % de la population comprend ce mouvement.
Henri MARNIER
L'arrogance patronale
Le conflit en cours s'inscrit dans le cadre du renouvellement de la convention salariale des cheminots. Après quelques débrayages début juillet, les deux principaux syndicats du secteur ont signé un accord avec la direction de la DB, se traduisant par une augmentation annuelle de 2,8 % pour les 134 000 salariés de l'entreprise (ils réclamaient au départ une hausse de 7 %). De son côté, le syndicat GdL, qui regroupe la majorité des agents de conduite, réclame la création d'une grille salariale spécifique aux roulants (agents de conduite, contrôleurs et personnels de restauration des trains). Il veut en particulier que le salaire d'embauche des agents de conduite soit porté, sans les primes, d'environ 1 970 euros brut (soit environ 1 500 net pour 41 heures par semaine) à 2 500 euros, ce qui représenterait une augmentation de 31 %.
La collaboration de classe manifeste des uns (Transnet s'est ainsi prononcé depuis longtemps pour la privatisation de la DB et a exhorté la direction de la Deutsche Bahn à ne pas céder aux exigences de GdL) et l'attitude corporatiste de GdL, qui réclame un accord séparé pour les roulants, ne sont pas de nature à renforcer la solidarité de l'ensemble des cheminots. D'autant qu'une partie d'entre eux ont le statut de fonctionnaires et n'ont pas le droit de grève. Mais le mouvement engagé par les roulants est aussi l'expression du ras-le-bol contre les attaques qui s'intensifient depuis des années : allongement du temps de travail, perte de 9,5 % du pouvoir d'achat des agents de conduite depuis 1994, cession de nombreux parcours à des sociétés ferroviaires privées.
La DB a largement de quoi augmenter les salaires : en 2006 le groupe a enregistré, avec 2,1 milliards d'euros, le profit le plus élevé de son histoire. Quant aux membres du conseil d'administration, qui qualifient d'exorbitantes les revendications de GdL, ils se sont octroyé une augmentation de rémunération de 62 % l'an passé !