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Ousmane Sembène : Romancier et cinéaste militant
Le militant, écrivain, cinéaste, scénariste et acteur sénégalais Ousmane Sembène vient de mourir à 84 ans.
Né en 1923 au Sénégal, mobilisé malgré lui dans les tirailleurs sénégalais de l'armée française en 1942, démobilisé et revenu clandestinement en France en 1946, il fut tour à tour mécano, docker, maçon, avant d'écrire son premier roman en 1956. En 1962, il commençait une carrière de cinéaste. Plusieurs de ses films furent primés.
Docker à Marseille, Ousmane Sembène avait adhéré à la CGT et au PCF, expérience relatée dans son premier roman, Le docker noir. En 1957, il publiait Ô pays, mon beau peuple, qui évoque les aspirations des Africains à se dégager à la fois de l'emprise coloniale et des traditions rétrogrades. Mais son meilleur roman reste Les bouts de bois de dieu, paru en 1960, qui raconte un épisode réel, la grève des cheminots en 1947-1948 sur la ligne de chemin de fer reliant Dakar à Bamako. Sur fond de colonialisme, des cheminots africains se mobilisèrent alors pour obtenir les mêmes droits que les cheminots français.
Après avoir étudié le cinéma en URSS, Ousmane Sembène devint aussi cinéaste. Premier film africain, La noire de... est une critique sociale du destin d'une jeune femme noire venue travailler en France chez un couple qui la traite en esclave, la poussant au suicide. Le mandat (1968), primé à Venise, est un comédie qui dénonce la bourgeoisie sénégalaise apparue après l'indépendance. Ceddo (1976), film interdit par le président sénégalais Senghor, dénonce les invasions conjointes du catholicisme et de l'islam en Afrique de l'Ouest.
En 1988, c'est la France qui censure son film sur Le camp de Thiaroye, hommage aux tirailleurs sénégalais, dénonçant un épisode peu glorieux de l'armée coloniale française. La plupart de ses films cherchaient à montrer que l'indépendance est insuffisante pour régler tous les problèmes et que bien des combats restent à mener pour que la justice sociale règne en Afrique.
Son dernier film, Moolaadé, réalisé alors qu'il avait plus de 80 ans, s'attaque de front à l'excision, alors que la plupart des intellectuels africains se montrent plus enclins à justifier cette coutume barbare contre les femmes, au nom du respect de la religion et des traditions. Le film montre que l'excision, encore pratiquée dans 38 des 54 États africains, est aussi une affaire de pouvoir des hommes sur les femmes, des anciens sur les plus jeunes.
Jusqu'à la fin, Ousmane Sembène se revendiqua d'un " cinéma forain ". " Tout peut être filmé et transporté dans le plus profond village de l'Afrique ", déclarait-il encore en 2005, en ajoutant : " Un militant reste jeune toute sa vie ". Et c'est en militant qu'il accompagna, de village en village, son film contre l'excision, pour faire avancer ce qui allait être son dernier combat.