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Leur société
L'évolution de l'électorat en chiffres
Le premier constat dans ce premier tour de l'élection présidentielle est évidemment l'accroissement très net de la participation. Le nombre des inscrits est passé de 41 198 266 en 2002 à 44 474 519 en 2007, soit une augmentation de 3 276 253. L'augmentation du nombre de votants est encore plus importante. Entre 2002 et 2007, il a représenté 7 776 910 personnes supplémentaires. En d'autres termes, le pourcentage des votants par rapport aux inscrits est passé de 71,60 % en 2002 à 83,78 % en 2007.
L'électorat a donc été bien plus mobilisé cette année qu'il y a cinq ans. Cette mobilisation n'a cependant pas été uniquement, ni même principalement, celle de l'électorat de gauche.
Évolution vers la droite
Les commentateurs de la gauche soulignent surtout le résultat électoral de Ségolène Royal. Et, en effet, Ségolène Royal a progressé aussi bien en nombre de votants qu'en pourcentage, et non seulement par rapport à Jospin en 2002 - ce qui n'était pas difficile vu l'effondrement à l'époque de l'électorat de gauche après cinq ans de gouvernement de la Gauche plurielle sous la direction de Jospin -, mais aussi par rapport à Jospin en 1995.
Avec 9 501 295 votants, soit 25,87 % des voix en 2007, Ségolène Royal augmente l'électorat du PS de 4 891 182 électeurs supplémentaires, soit 9,69 % de voix de plus que celles de Jospin en 2002. Comparativement au résultat de Jospin en 1995, Ségolène Royal a également progressé de 2 403 144 voix, ce qui, même compte tenu de l'élargissement du corps électoral, représente une hausse de 2,57 %.
Mais ce chiffre record pour Ségolène Royal ne peut pas cacher que l'ensemble de la gauche n'a pas progressé depuis 2002. Plus exactement, avec 13 379 121 votants en 2007, la gauche a, certes, gagné 1 160 536 voix par rapport à 2002, mais en pourcentage, l'ensemble des candidats de gauche ne représente plus, en 2007, que 36,44 % des voix, alors qu'ils représentaient 42,89 % des votants au premier tour de 2002.
Dans la réalité, le score élevé de Ségolène Royal à l'intérieur d'une gauche en recul résulte d'un mouvement complexe. D'un côté, Ségolène Royal a perdu une partie de l'électorat possible du PS au profit de François Bayrou.
Mais ce déplacement de voix de gauche vers François Bayrou a été compensé, et largement, par des votes qui, en 2002, s'étaient portés sur l'extrême gauche ou sur les différentes composantes de l'ex-Gauche plurielle - PC, Verts, chevènementistes, radicaux de gauche - et qui, cette fois-ci, se sont portés sur Ségolène Royal dès le premier tour.
Le Pen recule, mais pas le lepénisme
Un examen superficiel peut conduire à la conclusion que ce déplacement vers la droite ne concerne que les déplacements internes à la gauche ou, encore, les déplacements de l'électorat du PS vers François Bayrou. À droite, en effet, Le Pen a perdu près d'un million de voix, en passant de 4 804 772 voix en 2002 à 3 835 029 voix en 2007, recul qui, en pourcentage, est plus important encore puisque le candidat du FN passe de 16,86 % à 10,44 %.
Mais si Nicolas Sarkozy a réussi son opération de drainer vers sa candidature une partie de l'électorat du FN, il l'a fait en reprenant les idées et le langage de Le Pen. Celui-ci aura réussi à marquer largement toute la campagne électorale. Sarkozy reprenant ses thèmes, une partie importante de l'électorat d'extrême droite a raisonné à partir du constat qu'entre la politique proposée par Nicolas Sarkozy et celle de Le Pen, les différences étaient mineures avec, en revanche, cet avantage pour Sarkozy qu'il a une forte probabilité de devenir président de la République et, par conséquent, de porter jusqu'à l'Élysée le lepénisme.
L'efficacité du chantage au vote prétendument utile à gauche
Du fait du désistement de Jean-Pierre Chèvenement et de Christiane Taubira, Ségolène Royal a dû bénéficier d'une grande partie, sinon de la totalité, des 2 178 083 suffrages (7,65 % des votants) obtenus en 2002 par ces deux candidats. Mais, à cela, on peut ajouter les gains réalisés par Ségolène Royal au détriment des candidats sur sa gauche et des écologistes. L'ensemble des cinq candidats, Arlette Laguiller, Olivier Besancenot, Daniel Gluckstein, Robert Hue et Noël Mamère, avait représenté, en 2002, 5 429 497 votes, soit 19,05 % des votants. L'ensemble des candidats, Arlette Laguiller, Olivier Besancenot, Gérard Schivardi, Marie-George Buffet, José Bové et Dominique Voynet, n'a obtenu, en 2007, que 3 850 916 voix, c'est-à-dire 10,62 % seulement de l'électorat.
La propagande développée par le PS en faveur du vote utile a touché à des degrés divers tous les candidats de gauche, à l'exclusion d'Olivier Besancenot. Plus exactement, à en juger par le sondage sortie des urnes effectué pour le compte de L'Humanité, Olivier Besancenot a été touché à peu près autant que les autres par les effets du vote dit utile, mais ceux de ses électeurs de 2002 qui se sont portés directement sur Ségolène Royal ont été remplacés par des abstentionnistes de 2002, de nouveaux électeurs mais aussi, dans une certaine mesure, par des votants venus de l'électorat de Marie-George Buffet ou d'Arlette Laguiller.
Pour ce qui concerne l'électorat d'Arlette Laguiller, il se réduit donc à 488 119 votants, soit 1,33 % de l'électorat. C'est, bien sûr, un très net recul par rapport aux 1 630 118 votants de 2002 (5,72 % de l'électorat). C'est peu, mais cela représente des électeurs qui, dans un contexte marqué en général par une très nette évolution vers la droite et aussi, plus fondamentalement, par une perte profonde des repères du mouvement ouvrier, ont malgré tout gardé le cap et se sont reconnus dans la politique défendue par Arlette Laguiller. Pas seulement face aux candidats dits grands qui représentaient tous le camp de la bourgeoisie, mais aussi par rapport aux différents candidats sur la gauche du PS qui, au choix intransigeant du camp des travailleurs, ont ajouté bien des objectifs certes à la mode mais qui n'avaient pas grand-chose à voir avec le mouvement ouvrier.
Comme l'a déclaré Arlette Laguiller au soir du premier tour de l'élection présidentielle, nous appelons à voter pour Ségolène Royal au deuxième tour sans réserve mais absolument sans illusion sur ce qu'elle-même et les dirigeants du PS feront s'ils parviennent au pouvoir. C'est un geste de solidarité avec cette majorité du monde du travail qui souhaite, par ce vote, empêcher que Nicolas Sarkozy, cet homme tout dévoué au grand patronat et méprisant vis-à-vis du monde du travail, puisse devenir le prochain président de la République.
Les choix de Ségolène Royal
Dès le premier tour, Ségolène Royal a fait le choix de faire une campagne neutre, plus tournée vers le patronat que vers les classes populaires et cherchant à plaire sur sa droite. Il n'y avait rien dans les propositions de Ségolène Royal qui pouvait enthousiasmer les classes populaires. Aucun engagement surtout de s'orienter vers une politique efficace pour faire reculer le chômage de masse, améliorer le pouvoir d'achat et surmonter la grave crise du logement qui frappe les classes populaires.
Étant donné la différence entre les 36,44 % de l'ensemble de l'électorat de gauche et les 45 % de l'électorat de droite, Le Pen compris, Ségolène Royal a peu de chances d'être élue.
Étant donné le rapport entre l'électorat de gauche et celui de droite, même si la moitié des 18,57 % recueillis par François Bayrou revenait à gauche, Nicolas Sarkozy l'emporterait. Et, si un tiers seulement de l'électorat de Bayrou soutenait Sarkozy, ce dernier aurait quand même la majorité des voix.
Ségolène Royal, en compétition avec Sarkozy pour récupérer un maximum de voix qui se sont portées sur le candidat de l'UDF, multiplie les propositions d'ouverture en direction de ce dernier, et en tout cas de son électorat. Sa proposition de débat avec les centristes pour élaborer une sorte de programme commun entre le PS et l'UDF est dans la logique de l'arithmétique électorale.
Rien de fondamental ne s'y oppose, tant, en effet, la politique de Ségolène Royal et celle de François Bayrou ne diffèrent guère. Il ne faut pas mettre beaucoup d'eau dans le vin de Ségolène Royal pour qu'il ait tout à fait le même goût que le breuvage de Bayrou.
Il est cependant peu vraisemblable que Bayrou soit tenté de s'engager du côté du Parti Socialiste. Pas plus d'ailleurs que du côté de l'UMP. Bayrou évoque l'éventualité d'un parti centriste. L'avenir dira comment cela se concrétisera. Mais Bayrou est fondé de penser qu'aussi bien pour les législatives proches que pour sa carrière personnelle dans la perspective de la présidentielle de 2012, il a intérêt à jouer l'indépendance.
Ce qui ressort de ces manoeuvres du PS en direction de l'électorat de François Bayrou, c'est que, même si Ségolène Royal est élue grâce aux voix centristes, sa politique sera définie par la nécessité de garder ces alliés, si possible en menant une politique qu'ils peuvent accepter, c'est-à-dire une politique de droite. C'est dire que, même si le vote Ségolène Royal permettait de faire barrage à Sarkozy, cela ne ferait pas barrage à la politique de droite.
Cette politique ne pourra être repoussée que par les luttes sociales ! Aucun signe avant-coureur n'annonce pour le moment les futures luttes d'ensemble. Mais il n'y a d'issue pour la classe ouvrière que dans cette voie.