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- Lutte ouvrière n°2017
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1947 à Madagascar : L'insurrection contre l'ordre colonial
Il y a soixante ans, dans la nuit du 29 mars 1947, éclatait l'insurrection de Madagascar contre l'oppression coloniale française. Après la guerre, la bourgeoisie française tentait de maintenir envers et contre tout, malgré l'aspiration générale des peuples à l'indépendance, sa domination sur son empire colonial sous l'étiquette " Union française ", opposant la politique de la canonnière à ceux qui exigeaient leurs droits. À Sétif, en Algérie, la manifestation du 8 mai 1945 où apparurent des drapeaux algériens avait été violemment réprimée. En Indochine, le 23 novembre 1946, la marine française avait bombardé Haïphong, faisant plusieurs milliers de victimes. À Madagascar, la guerre s'était traduite d'une part par l'enrôlement de 15 000 Malgaches dans les troupes françaises, constituées en 1944 de trois cinquièmes de soldats coloniaux, d'autre part par une aggravation considérable de la misère de l'île et de l'oppression de ses quatre millions d'habitants autochtones.
Depuis la " conquête " de 1896, ces derniers subissaient le régime de l'indigénat, qui permettait, outre l'exploitation des richesses de l'île - le riz, le café, le sucre, les épices, le caoutchouc... sont exportés vers la métropole -, celle du travail des paysans, à la base de l'enrichissement des colons.
Une exploitation insupportable
Dans la période de la guerre, la réquisition pour l'armée de la quasi-totalité des produits de base et un système de travail forcé gratuit (trente jours par an) vinrent aggraver l'exaspération et la misère des habitants, renforcée par la terrible famine de 1943-1944.
Comme la plupart des populations de l'Empire colonial français, les Malgaches disposaient d'un droit de vote très restreint, mais dès 1945 ils élirent deux puis trois députés qui fondèrent en 1946 le Mouvement Démocratique de la Rénovation Malgache, parti indépendantiste qui attira des centaines de milliers d'adhérents.
L'insurrection du 29 mars 1947 fut immédiatement attribuée au MDRM, pourtant ses dirigeants n'en revendiquèrent jamais la responsabilité. C'est une flambée de colère qui parcourut cette nuit-là toute la partie est de l'île, soulevant la population et affolant les 4 000 Européens. Plusieurs gros colons furent tués. Des partis nationalistes disposant de réseaux clandestins participèrent à l'organisation de l'insurrection, parfois encadrée par les anciens tirailleurs malgaches récemment démobilisés. Le 31 mars, à Tananarive, un camp militaire français était attaqué par plusieurs centaines d'hommes, armés seulement de sagaies et de coupe-coupe. Les quelques fusils récupérés furent les seules armes à feu dont disposèrent les Malgaches, avec celles prises dans les mois qui suivirent aux militaires français.
Après les premiers jours de stupeur, la répression s'organisa. L'état de siège fut proclamé le 4 avril, les autorités coloniales s'employant cependant, dans le communiqué, à minimiser les événements pour rassurer l'opinion métropolitaine. Mais la révolte déferlait, s'attaquant aux fermes des gros colons, aux camps militaires, à tout ce qui incarnait l'exploitation coloniale. La répression s'abattit avec férocité. Des renforts militaires furent expédiés, procédant à des arrestations massives, par des rafles dans les quartiers populaires des villes et dans les villages. L'armée, assistée par les milices de colons, incendiait les maisons avec leurs habitants, exécutait des " suspects ", massacrait les prisonniers.
Répression féroce
Cela ne suffisant pas, le gouvernement envoya encore, contre ces hommes armés de machettes et de lances, l'infanterie, les parachutistes, puis l'aviation. Des bombes furent larguées par soixante avions sur des campements d'insurgés et des villages suspects d'abriter des " mutins ". Au sol, toutes les formes de torture furent utilisées contre les insurgés de Madagascar, des procédés qui allaient être repris par la suite en Indochine et en Algérie. Tout était bon pour terroriser la population : mutilation d'otages, mitraillages de trains, largages par avion ou hélicoptère d'hommes vivants au-dessus des villages, des " bombes démonstratives " comme les nommait la presse française aux ordres.
Ce feu nourri ne parvint pas à briser, avant de longs mois, la résistance de la population. Les insurgés cherchèrent refuge dans la montagne où ils menèrent une guérilla défensive. Beaucoup y moururent de faim et de maladie plutôt que de se rendre aux autorités. Ce n'est qu'en décembre 1948 que le représentant de la puissance coloniale put déclarer : " Nous commençons à reprendre l'offensive. "
C'est un président du Conseil socialiste, Paul Ramadier qui, s'abritant derrière la fumeuse appellation " d'Union française " qui avait remplacé celle un peu trop transparente " d'Empire colonial français ", s'opposait à toute idée d'indépendance et dirigea la répression contre les insurgés. Il demanda la levée de l'immunité parlementaire des députés et sénateurs malgaches. Le PCF, participant au gouvernement jusqu'en mai 1947, se contenta au moment des bombardements de protester mollement contre l'arrestation " anticonstitutionnelle " des députés malgaches. Dès le début du mouvement, deux députés, Ravoahangy et Rabemananjara, avaient été emprisonnés à Tananarive et soumis à la torture. Le MDRM avait été dissous, puis le troisième député, Raseta, était arrêté à la sortie du Palais-Bourbon.
De procès en procès, les tribunaux civils et militaires prononcèrent des centaines de condamnations, dont 190 à mort, parmi lesquels deux des députés malgaches. Si la plupart - dont les deux députés - furent grâciés, vingt-sept furent exécutés, parmi lesquels des dirigeants de l'insurrection. De nombreux accusés furent condamnés aux travaux forcés.
Les victimes de la répression se comptèrent par dizaines de milliers, l'état-major français les chiffra à 89 000, sans compter tous ceux qui moururent de faim et d'épidémies au cours de ces longs mois. Moyennant quoi, " la paix et l'ordre règnent à Madagascar ", put déclarer quatre années après l'insurrection le ministre de la France d'Outre-mer d'alors, François Mitterrand, solidaire de ses prédécesseurs du temps de la répression.
Cette véritable guerre coloniale, dite de " pacification " - mot repris plus tard contre les insurgés en Algérie -, ouvrit une période de recul dans la lutte pour l'indépendance malgache. Mais l'impérialisme français, battu en Indochine, en difficulté en Algérie, finit par octroyer l'autonomie à Madagascar, après un référendum en 1958. L'homme qui prit la tête de l'État malgache, Tsiranana, fut directement mis en place par la France qui s'assura ainsi la continuité dans l'exploitation des richesses du pays.