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- Lutte ouvrière n°2010
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Guinée Conakry : Après des semaines de grève, le dictateur reste au pouvoir... jusqu'à quand?
Il aura fallu près de 60 morts, des centaines de blessés, un pays paralysé par la grève générale pendant plusieurs semaines, des dizaines de milliers de manifestants dans toutes les grandes villes du pays, en janvier dernier, pour que le président dictateur Lansana Conté fasse quelques concessions.
Le pouvoir et les syndicats étaient parvenus à un accord: le vieux dictateur s'engageant à nommer un Premier ministre et les syndicats acceptant de faire une «pause». Pour l'heure, fort du soutien de l'armée, le pouvoir joue la montre et la nomination du Premier ministre se fait attendre. Les syndicats ont lancé un ultimatum et menacent d'appeler de nouveau la population à la grève générale le 12 février, si le Premier ministre n'est toujours pas nommé d'ici là.
La grève générale avait été lancée, le 10 janvier dernier, par la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (CNTG) et l'Union syndicale des travailleurs de Guinée (USTG), soutenues par quatorze partis politiques. Les raisons du mécontentement sont nombreuses: vie chère, corruption généralisée à tous les échelons du pouvoir et de la société, détournements de fonds publics, «ingérence» dans la justice. Lansana Conté était intervenu pour faire libérer en décembre 2006 l'ancien président du patronat, Mamadou Sylla, richissime homme d'affaires et première fortune du pays, inculpé et incarcéré pour détournements de fonds publics, ainsi que son co-accusé l'ex-ministre Fodé Soumah. Ils étaient accusés d'avoir détourné l'équivalent de deux millions d'euros. Voilà ce qui avait mis le feu aux poudres. Syndicats et partis d'opposition avaient appelé à la grève et à la désobéissance civile.
Un mouvement de grève générale
Face aux manifestations qui ont très vite gagné les principales villes du pays, Lansana Conté a d'abord fait tirer sur la foule, puis a lâché du lest avant qu'il ne soit trop tard. Le 26 janvier dernier, il a signé un accord s'engageant à nommer un Premier ministre pour former un gouvernement de transition, principale revendication des partis d'opposition. Aussitôt, les dirigeants des centrales syndicales ont appelé à la «suspension » du mouvement gréviste. Certains hommes politiques, à l'instar de Sidya Touré, Premier ministre de 1996 à 1999 et aujourd'hui opposant, préfèrent que le mouvement gréviste rentre dans le rang le plus vite possible. En appelant «à la pause », les organisations syndicales ont pris le risque de démobiliser la population avant même d'avoir obtenu gain de cause. Et cela est d'autant plus préjudiciable aux intérêts des masses pauvres de Guinée que, dans ce pays comme ailleurs, l'armée reste le principal garant du régime du dictateur et des intérêts des grandes familles qui ont mis le pays en coupe réglée.
Jusqu'à quand l'armée restera-t-elle le pilier du régime?
Cette armée a été choyée par Lansana Conté et formée grâce à la coopération militaire française. Mais la question qui se pose aujourd'hui est de savoir jusqu'à quand celle-ci restera fidèle au régime en place. L'armée n'est pas à l'abri de dissensions internes, liées aux ambitions personnelles et aux calculs politiques de ses chefs, surtout si l'agitation sociale continue. Si les intérêts des caciques du régime et des grandes multinationales - qui voient chaque jour leurs intérêts lésés par l'agitation sociale - le commandent, il se peut qu'une partie des militaires basculent dans la rébellion. Seconde incertitude: l'attitude des masses ouvrières et paysannes. Il n'est pas dit qu'elles se contentent de la simple nomination d'un Premier ministre pour rentrer dans le rang. Cela ne changera rien à leurs conditions de vie, faites de répression et de misère, et cela tout le monde le sait. La situation est explosive et le pouvoir actuel redoute par-dessus tout la relance de l'agitation sociale.
Il est à espérer que, dans les jours à venir, les masses pauvres des quartiers populaires de Conakry, de Labé et des autres grandes villes du pays, au coeur de cette agitation sociale qui secoue la Guinée depuis plusieurs semaines, ne se laisseront pas berner par des opposants qui n'aspirent qu'à participer au pouvoir à leur tour, et imposeront au mouvement de grève leurs propres revendications politiques et sociales.