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Dans le monde
Turquie : L’indignation après l’assassinat du journaliste Hrant Dink
Vendredi 19 janvier à 15 heures, le journaliste Hrant Dink, d'origine arménienne, qui dénonçait le nationalisme de l'extrême droite et des autorités turques, et évoquait le génocide des Arméniens durant la Première Guerre mondiale, a été assassiné en plein centre-ville d'Istanbul, devant le siège de son journal.
Depuis plusieurs années, Hrant Dink était traîné devant les tribunaux par les autorités et recevait des menaces de mort de l'extrême droite, notamment de la part d'un milieu dirigé par un ex-général, Veli Küçük, très connu, notamment, comme fondateur des Jitem, brigades de la mort qui font régner la terreur dans les régions kurdes de Turquie. L'avocat et les proches de Dink ont mis en évidence la coïncidence entre la présence de Veli Küçük et de ses proches au tribunal lors d'un procès contre Dink et la multiplication, par la suite, des menaces de mort à son encontre.
Dans les heures qui ont suivi l'assassinat, les stations de radio et les chaînes de télévision ont annoncé la nouvelle et, spontanément, plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées au centre-ville d'Istanbul. Le lendemain, une manifestation énorme, on parle de cent mille personnes et d'une foule étalée sur 8km, a eu lieu à Istanbul et également dans d'autres grandes villes comme Ankara ou Izmir. Cette foule témoignait de l'indignation générale, qui allait bien au-delà des milieux de gauche et d'extrême gauche. L'image, montrée par les télévisions, du corps de Dink gisant sur le trottoir a révolté de nombreuses personnes. Des téléspectateurs ont dit qu'ils avaient été touchés par la pauvreté visible du journaliste: son corps allongé montrait des trous dans ses vieilles chaussures. De même, les appels à la fraternité entre les peuples, lancés par la femme de Dink, ont beaucoup ému. La foule criait «Nous sommes tous des Arméniens, des Kurdes, des Turcs», «Nous sommes tous des Dink».
En fait, l'assassinat de Dink s'ajoute à des menaces de l'extrême droite et des forces parallèles agissant pour le compte de l'État et à des assassinats qui se sont multipliés ces dernières années, notamment contre les Kurdes.
Devant cette indignation, le gouvernement et les autorités se sont sentis obligés d'agir et de passer à l'action pour arrêter l'assassin, alors qu'au début la police avait refusé d'enregistrer le témoignage d'une personne ayant assisté aux faits.
L'assassin, Samast, est un jeune de 17 ans, fils d'une famille pauvre de Trébizonde et au chômage. Il fréquentait les milieux d'extrême droite liés à Veli Küçük. Il est sûr qu'il a agi pour le compte de quelqu'un. Samast, qui était sans le sou, venait d'effectuer récemment cinq allers-retours en avion entre Trébizonde et Istanbul.
Devant les faits et les photos publiées dans la presse, le gouvernement a été obligé d'arrêter six personnes proches des hommes de Veli Küçük; il a aussi révoqué le préfet de Trébizonde, ville connue pour être un fief de l'ex-général. Ces dernières années, elle a été le théâtre de plusieurs lynchages de militants proches de l'extrême gauche et de l'assassinat d'un prêtre par un jeune, un crime qui ressemble beaucoup à l'assassinat de Dink.
En fait, pour la majorité de la population, il est clair que l'assassinat de Hrant Dink est l'oeuvre des «forces obscures», c'est-à-dire les services secrets, les escadrons de la mort organisés au sein de la police et qui bénéficient de la complicité de tout l'appareil d'État.
Le premier ministre, Erdogan, a déclaré, plusieurs jours après l'assassinat, que ces «forces obscures» existaient depuis l'Empire ottoman et qu'il fallait «les réduire au minimum et si possible les éliminer». C'est une façon d'essayer de dégager sa responsabilité mais aujourd'hui, c'est lui qui, au gouvernement, couvre les agissements de toute une partie de l'appareil d'État noyautée par l'extrême droite et les organisations paramilitaires.