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- Lutte ouvrière n°1976
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La vague de grèves de juin 1936 : Une «grandiose pression» des ouvriers sur les classes dirigeantes
Du 8 au 12 juin 1936, la vague de grèves avec occupation qui avait commencé à se développer à partir de la mi-mai atteignait son maximum en France, et ce malgré la signature des accords Matignon, signés dans la nuit du 7 au 8 juin, sur lesquels le patronat comptait pour tout faire rentrer dans l'ordre.
L'extension des occupations d'usine, qui montrait la profondeur de la combativité ouvrière, avait fait craindre aux bourgeois de tout perdre: leurs usines, leurs propriétés, leurs capitaux et jusqu'au droit de continuer à prospérer par l'exploitation.
Le gouvernement socialiste de Léon Blum, soutenu activement par le Parti Communiste et la CGT, était venu à leur secours. Représentants patronaux et syndicaux s'étaient réunis, sous la présidence de Léon Blum. Les accords Matignon apportaient aux travailleurs la reconnaissance du droit syndical, le principe des contrats collectifs, l'institution des délégués ouvriers élus, ainsi qu'un réajustement des salaires de 7 à 15%. Pour tous les participants à cette réunion, il s'agissait de tenter de mettre un terme au mouvement gréviste.
Mais la signature de ces accords n'arrêta pas les grèves. Bien au contraire. Les travailleurs enregistraient bien sûr le recul que représentaient les accords Matignon, mais ils ne le jugeaient pas suffisant. Jacques Danos et Marcel Gibelin racontent dans leur livre intitulé Juin 36 que le patron de l'usine Sauter et Harlé, voulant inciter dès le 9 juin les ouvriers à reprendre le travail, décida de s'adresser directement à eux sans passer par le comité de grève. Il fut aussitôt obligé de s'enfuir sous une haie de poings levés tandis que les métallos scandaient: «À la porte!» et chantaient l'Internationale.
En fait, du 8 au 12 juin, les grèves se développèrent de plus belle. Après les métallos, ce furent les travailleurs du bâtiment qui furent appelés à se mettre en grève dès le 8 juin. Ce même jour, la grève était quasiment totale dans les grands magasins. La grève éclatait également le 8 juin dans les assurances. Bien des travailleurs, employés des Galeries Lafayette, de la Samaritaine ou du Bon Marché, ou serveurs des cafés et des restaurants, se mettaient en grève pour la première fois. La grève s'étendit à tout le pays. Pour ne donner qu'un exemple, le journal conservateur le Temps indiquait le 9 juin que huit à neuf dixièmes des entreprises étaient en grève dans le Nord et le Pas-de-Calais.
C'est sous cette «grandiose pression» exercée par les travailleurs sur les classes dirigeantes, pour reprendre l'expression utilisée par Trotsky en juillet 1936, que le gouvernement fit voter de nouvelles lois sur les congés payés et les 40 heures.
Les dirigeants syndicaux et des partis de gauche allaient alors mettre tout leur poids dans la balance pour arrêter le mouvement. Les dirigeants de la CGT multiplièrent les réunions dans les usines pour tenter de faire reprendre le travail. Ainsi le représentant de la CGT Gauthier déclarait, le 9 juin, devant 700 délégués des usines de la métallurgie parisienne en grève: «Sans doute les accords CGT-CGPF (le Medef de l'époque) ne contiennent pas toutes les dispositions que désiraient les métallos. Mais il ne faut pas perdre de vue que nous vivons dans d'autres conditions qu'auparavant; ainsi pouvons-nous envisager la reprise du travail, en restant vigilants.»
De leur côté, les dirigeants du PCF réunissaient militants et sympathisants, dans les usines, dans les quartiers, pour expliquer que «tout n'est pas possible maintenant». Maurice Thorez, le dirigeant du Parti Communiste Français, martelait qu'il fallait «savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue. Il faut même savoir consentir au compromis si toutes les revendications n'ont pas été encore acceptées, mais que l'on a obtenu la victoire sur les plus essentielles des revendications.» «Il faut savoir terminer une grève» fut le leitmotiv de tous les discours des dirigeants communistes à partir du 12 juin. Ainsi, bien qu'avec beaucoup de difficultés, le PC et la CGT finirent par parvenir à faire reprendre le travail, ne permettant pas à la classe ouvrière d'aller jusqu'au bout des possibilités de sa lutte.
Aujourd'hui, la plupart de ceux qui évoquent Juin 36 ne parlent que des congés payés, et comme s'ils découlaient de la victoire électorale du Front Populaire. Avec bien souvent des arrière-pensées électoralistes pour 2007. Mais ce que montre l'exemple de Juin36, c'est que les travailleurs, comme toujours, n'ont obtenu quelques avancées que par la lutte. Et aussi qu'ils doivent se méfier comme de la peste de leurs faux amis que sont les dirigeants des partis «socialiste» et «communiste», plus soucieux de servir la bourgeoisie que de défendre les intérêts de la classe ouvrière.
Aline RETESSE
Une déclaration édifiante
Quelques années après la vague de grèves sans précédent de mai-juin 1936, Léon Blum, s'expliquant sur la période, rapportait: «Les représentants de la CGT ont dit aux représentants du grand patronat: Nous nous engageons à faire tout ce que nous pourrons, mais nous ne sommes pas sûrs d'aboutir. Quand on a une marée comme celle-là, il faut lui laisser le temps de s'étaler. Et puis c'est maintenant que vous allez peut-être regretter d'avoir systématiquement profité des années de déflation et de chômage pour exclure de vos usines tous les militants syndicalistes. Ils n'y sont plus pour exercer sur leurs camarades l'autorité qui serait nécessaire pour exécuter nos ordres.» Et il poursuivait: «Et je vois encore Monsieur Richemont (un membre de la délégation patronale, membre de l'Union des industries métallurgiques et mécaniques), qui était assis à ma gauche, baisser la tête en disant: "C'est vrai, nous avons eu tort."»
Blum fit cette déclaration devant la Cour de Riom, devant laquelle il avait été traduit par le régime de Vichy. Mais elle reflétait si bien sa pensée que le Parti Socialiste la publia au lendemain de la guerre.